ANNALES DE LA
CHAMBRE DES DEPUTES
11 NOVEMBRE 1918
- EXTRAIT -
M. le président. La séance est
reprise. La parole est à M. le président du conseil
(Acclamations prolongées. –MM. Les députés se lèvent.)
M. Georges Clemenceau, président du
conseil, ministre de la guerre. Messieurs, il n’y a qu’une
manière de reconnaître de tels hommages venant des assemblées
du peuple, si exagérés qu’ils puissent être, c’est de nous
faire tous, les uns et les autres, à cette heure, la promesse
de toujours travailler de toutes les forces de notre cœur au
bien public. (Vifs applaudissements.)
Je vais vous donner lecture du texte officiel de
l’armistice qui a été signé ce matin à cinq heures par M. le
maréchal Foch, l’aimiral Wemyss et les plénipotencières de
l’Allemagne.
Ce document est ainsi conçu :
CONVENTION
" Entre le maréchal Foch, commandant en chef les armées
alliées stipulant au nom des puissances alliées et associées,
assisté de l’amiral Wemyss, First Sea Lord, d’une part ;
" Et M. le secrétaire d’Etat Erzberger, président de la
délégation allemande,
" M. l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire,
comte von Obendorff,
" M. le général d’état-major von Winterfeld,
" M. le capitaine de vaisseau Vanselow,
" Munis de pouvoirs réguliers et agissant avec l’agrément du
chancelier allemand, d’autre part,
" il a été conclu un armistice aux conditions suivantes :
a)
Conditions de l’armistice conclu avec l’Allemagne sur le front
d’Occident.
" 1. Cessation des hostilités, sur
terre et dans les airs, six heures après la signature de
l’armistice. "
Le feu a cessé ce matin sur tout le front à onze heures (Applaudissements
prolongés. – MM. Les députés se lèvent.)
" 2. Evacuation immédiate des pays envahis : Belgique,
France, Luxembourg, ainsi que l’Alsace-Lorraine, réglée de
manière à être réalisée dans un délai de quinze jours à dater
de la signature de l’armistice. " (MM. Les députés se
lèvent et applaudissent longuement. – Cris : " vive
l’Alsace-Lorraine ! ")
" Les troupes allemandes qui n’auraient pas évacué les
territoires prévus dans les délais fixés, seront faites
prisonnières de guerre. " (Applaudissements.)
Ici est une annexe dont je ne vous donne pas lecture, attendu
qu’on n’a pu me la communiquer en temps utile ; cette annexe
règle les détails de la retraite des troupes allemandes.
" L’occupation par l’ensemble des troupes alliées et des
Etats-Unis, suivra dans ces pays la marche de l’évacuation.
" Tous les mouvements d’évacuation ou d’occupation sont réglés
par la note annexe n°1, arrêtée au moment de la signature de
l’armistice.
" Rapatriement, commençant immédiatement et devant être
terminé dans un délai de quinze jours, de tous les habitants
des pays énumérés ci-dessus (y compris les otages et les
prévenus ou condamnés). (Vifs applaudissements.)
" 4. Abandon par les armées allemandes du matériel de guerre
suivant, en bon état : 5 000 canons (dont 2 500 lourds et 2
500 de campagne), 25 000 mitrailleuses, 3 000 minenwerfer, 1
7000 avions de chasse et de bombardement.
" En premier lieu, tous les D7 et tous les avions de
bombardement de nuit (Applaudissements) à livrer sur
place aux troupes alliées et des Etats-Unis, dans les
conditions de détails fixées par la note annexe n°1 arrêtée au
moment de la signature de l’armistice.
" 5. Evacuation des pays de la rive gauche du Rhin par les
troupes allemandes. (Vifs applaudissements prolongés. – MM.
Les députés se lèvent.)
" Les pays de la rive gauche du Rhin seront administrés par
les autorités locales, sous le contrôle des troupes
d’occupation des Alliés et des Etats-Unis.
" Les troupes des Alliés et des Etats-Unis assureront
l’occupation de ces pays par des garnisons tenant les
principaux points de passage du Rhin (Mayence, Coblence,
Cologne) (Applaudissements prolongés. –MM. Les députés se
lèvent) avec en ces points, des têtes de pont de 80
kilomètres de rayon, sur la rive droite et des garnisons
tenant également des points stratégiques de la région.
" Une zone neutre sera réservée sur la rive droite du Rhin,
entre le fleuve et une ligne tracée parallèlement aux têtes de
pont et au fleuve et à 10 kilomètres de distance depuis la
frontière de Hollande jusqu’à la frontière de la Suisse.
(Vifs applaudissements.)
" L’évacuation par l’ennemi des pays du Rhin (rive gauche et
rive droite) sera réglée de façon à être réalisée dans un
délai de seize nouveaux jours soit trente et un jours après la
signature de l'armistice.
" Tous les mouvements d’évacuation ou d’occupation sont réglés
par la note annexe n°1, arrêtée au moment de la signature de
l’armistice.
" 6. Dans tous les territoires évacués par l’ennemi, toute
évacuation des habitants sera interdite. (Applaudissements.)
Il ne sera apporté aucun dommage ou préjudice à la personne ou
à la propriété des habitants. (Nouveaux applaudissements.)
Personne ne sera poursuivi pour délit de participation à des
mesures de guerre antérieures à la signature de l’armistice.
" Il ne sera fait aucune destruction d’aucune sorte. Les
installations militaires de toute nature seront livrées
intactes, de même les approvisionnements militaires, vivres,
munitions, équipements, qui n’auront pas été emportés dans les
délais d’évacuation fixés, les dépôts de vivres pour la
population civile, bétail, etc. , devront être laissés sur
place.
" Il ne sera pris aucune mesure générale ou d’ordre officiel
ayant pour conséquence une dépréciation des établissements
industriels ou une réduction dans leur personnel.
" 7. Les voies et moyens de communication de toute nature,
voies ferrées, voies navigables, routes, ponts, télégraphes,
téléphones… ne devront être l’objet d’aucune détérioration.
" Tout le personnel civil et militaire actuellement utilisé y
sera maintenu.
" Il sera livré aux puissances associées : 5 000 machines
montées et 150 000 wagons en bon état de roulement et pourvus
de tous rechanges et agrès nécessaires, dans les délais dont
le détail est fixé à l’annexe n°2 et dont le total ne devra
pas dépasser trente et un jours.
" Il sera également livré 15 000 camions automobiles en bon
état dans un délai de trente-six jours.
" Les chemins de fer d’Alsace-Lorraine, dans un délai de
trente et un jours, seront livrés dotés de tout le personnel
et matériel affectés organiquement à ce réseau.
(Applaudissements.)
" En outre, le matériel nécessaire à l’exploitation dans les
pays de la rive gauche du Rhin sera laissé sur place.
" Tous les approvisionnements en charbon et matières
d’entretien, en matériel de voies, de signalisation et
d’atelier seront laissés sur place ; les approvisionnements
seront entretenus par l’Allemagne en ce qui concerne
l’exploitation des voies de communication des pays de la rive
gauche du Rhin.
" Tous les chalands enlevés aux Alliés leur seront rendus. La
note annexe n°2 règle le détail de ces mesures.
" 8. Le commandement allemand sera tenu de signaler dans un
délai de quarante-huit heures après la signature de
l’armistice toutes les mines ou dispositifs à retard (Vifs
applaudissements) agencés sur les territoires évacués par
les troupes allemandes et d’en faciliter la recherche et la
destruction.
" Il signalera également toutes les dispositions nuisibles qui
auraient pu être prises tels qu’empoisonnement ou pollution de
sources et de puits, etc…
" Le tout sous peine de représailles (Applaudissements.)
" 9. Le droit de réquisition sera exercé par les armées des
Alliés et des Etats-Unis dans tous les territoires occupés,
sauf règlement de comptes avec qui de droit.
" L’entretien des troupes d’occupation des pays du Rhin (non
compris l’Alsace-Lorraine) sera à la charge du gouvernement
allemand.
" 10. Rapatriement immédiat, sans réciprocité dans des
conditions de détail à régler, de tous les prisonniers de
guerre y compris des prévenus des Alliés et des Etats-Unis.
(Applaudissements prolongés – MM. Les députés se lèvent.)
Les puissances alliées et les Etats-Unis pourront en disposer
comme bon leur semblera.
" Cette condition annule les conventions antérieures au sujet
de l’échange des prisonniers de guerre, y compris celle de
juillet 1918, en cours de ratification. Toutefois, le
rapatriement des prisonniers de guerre allemands internés en
Hollande et en Suisse continuera comme précédemment. Le
rapatriement des prisonniers allemands sera réglé à la
conclusion des préliminaires de paix (Applaudissement.)
" 11. Les malades et blessés inévacuables restés sur les
territoires évacués par les armées allemandes, seront soignés
par du personnel allemand qui sera laissé sur place avec le
matériel nécessaire.
b)
Dispositions relatives aux frontières orientales de
l’Allemagne
" 12. Toutes les troupes allemandes
qui se trouvent actuellement dans les territoires qui
faisaient partie avant la guerre de l’Autriche-Hongrie, de la
Roumaine, de la Turquie doivent rentrer immédiatement dans les
frontières de l’Allemagne telles qu’elles étaient au 1er
août 1914. (Applaudissements.)
" Toutes les troupes allemandes qui se trouvent actuellement
dans les territoires qui faisaient partie avant la guerre de
la Russie devront également rentrer dans les frontières de
l’Allemagne (MM. Les députés se lèvent et applaudissent)
définies comme ci-dessus dès que les Alliés jugeront le moment
venu, compte tenu de la situation intérieure de ces
territoires (Nouveaux applaudissements.)
" 13.Mise en train immédiate de l’évacuation par les
troupes allemandes et du rappel de tous les instructeurs,
prisonniers et agents civils et militaires allemands se
trouvant sur les territoires de la Russie (dans les limites du
1er août 1914). (Applaudissements.)
" 14. Cessation immédiate par les troupes allemandes de toute
réquisition, saisie ou mesures coercitives en vue de se
procurer des ressources à destination de l’Allemagne, en
Roumaine et en Russie (dans leurs limites du 1er
août 1914. " (Applaudissements)
" 15. Renonciation au traité de Bucarest et de Brest-Litovks
et traités compémentaires " (Applaudissements répétés. –MM.
Les députés se lèvent.)
M. Lauche. La victoire française libère les Russes.
M. le président du conseil. " 16. Les Alliés auront
libre accès aux territoires évacués par les Allemands sur les
frontières orientales, soit par Dantzig, soit par la Vistule,
afin de pouvoir ravitailler les populations et dans le but de
maintenir l’ordre. (Vifs applaudissements. Interruptions
sur divers bancs du parti socialiste).
M. Mayèras. Vive la révolution russe !
MM. Compère-Morel et André Lebey. A bas les
bolchevistes !
M. Barthe. Vive la Constituante !
M. le président. Messieurs, veuillez écouter.
M. le président du conseil.
c) Dans l’Afrique orientale
" 17. Evacuation de toutes les forces
allemandes opérant dans l’Afrique orientale dans un délai
réglé par les Alliés.
d)
Clauses générales
" 18. Rapatriement sans réciprocité
dans le délai maximum de un mois, dans des conditions de
détail à fixer de tous les internés civils, y compris les
otages, les prévenus ou condamnés appartenant à des puissances
alliées autres que celles énumérées à l’article 3.
Clauses financières
" 19. Sous réserves de toute revendication et réclamation
ultérieures de la part des Alliés et des Etats-Unis.
" Réparation des dommages. (Applaudissements prolongés.
–MM. Les députés se lèvent.)
" Pendant la durée de l’armistice, il ne sera rien distrait
par l’ennemi des valeurs publiques pouvant servir aux Alliés
de gage pour le recouvrement des réparations.
" Restitution immédiate de l’encaisse de la banque nationale
de Belgique et en général remise immédiate de tous documents,
espèces, valeurs (mobilières et fiduciaires, avec le matériel
d’émission) touchant aux intérêts publics et privés dans les
pays envahis. (Vifs applaudissements.)
" Restitution de l’or russe ou roumain pris par les Allemands
ou remis par eux. Cet or sera pris en charge par les Alliés
jusqu’à la signature de la paix. (Vifs applaudissements.)
e) Clauses navales
" 20. Cessation immédiate de toute
hostilité sur mer et indication précise de l’emplacement et
des mouvements des bâtiments allemands. Avis donnés aux
neutres de la liberté concédée à la navigation des marines de
guerre et de commerce des puissances alliées et associées dans
toutes les eaux territoriales sans soulever de questions de
neutralité.
" 21. Restitution, sans réciprocité, de tous les prisonniers
de guerre des marines de guerre et de commerce des puissances
alliées ou associées au pouvoir des Allemands.
" 22. Livraison aux Alliés et aux Etats-Unis de tous les
sous-marins (y compris tous les croiseurs sous-marins et tous
les mouilleurs de mines) actuellement existants, avec leur
armement et équipement complet dans les ports désignés par les
Alliés et les Etats-Unis. Ceux qui ne peuvent pas prendre la
mer seront désarmés de personnel et de matériel et ils devront
rester sous la surveillance des Alliés et des Etats-Unis.
(Vifs applaudissements. –MM. Les députés se lèvent).
" Les sous-marins qui sont prêts pour la mer seront
préparés à quitter les ports allemands aussitôt que des ordres
seront reçus par T.S.F. pour leur voyage au port désigné de la
livraison, et le reste le plus tôt possible.
" Les conditions de cet article seront réalisées dans un délai
de quatorze jours après la signature de l’armistice.
" 23. Les navires de guerre de surface allemands qui seront
désignés par les Alliés et les Etats-Unis seront immédiatement
désarmés, puis internés dans les ports neutres, ou, à leur
défaut, dans les ports alliés désignés par les Alliés et les
Etats-Unis, ils y demeureront sous la surveillance des Alliés
et des Etats-Unis, des détachements de garde étant seuls
laissés à bord.
" La désignation des Alliés portera sur : 6 croiseurs de
bataille, 10 cuirassés d’escadre (8 croiseurs légers, dont 2
mouilleurs de mines), 50 destroyers des types les plus
récents.
" Tous les autres navires de guerre de surface (y compris ceux
de rivière) devront être réunis et complètement désarmés dans
les bases navales allemandes désignées par les Alliés et les
Etats-Unis et y être placés sous surveillance des Alliées et
des Etats-Unis (Vifs applaudissements.)
" L’armement militaire de tous les navires de la flotte
auxiliaire sera débarqué. Tous les vaisseaux désignés pour
être internés seront prêts à quitter les ports allemands sept
jours après la signature de l’armistice.
" On donnera par T.S.F. la direction pour le voyage.
" 24. Droit pour les alliés et les Etats-Unis en dehors des
eaux territoriales allemandes, de draguer tous les champs de
mines et de détruire les obstructions placées par l’Allemagne
dont l’emplacement devra leur être indiqué.
" 25. Libre entrée et sortie de la Baltique pour les marines
de guerre et de commerce des puissances alliées et associées
assuré par l’occupation de tous les ports, ouvrages, batteries
et défenses de tout ordre allemands, dans toutes les passes
allant du Cattégat à la Baltique, et par le dragage et la
destruction de toutes mines ou obstructions dans et hors les
eaux territoriales allemandes dont les plans et emplacements
exacts seront fournis par l’Allemagne, qui ne pourra soulever
aucune question de neutralité.
" 26. Maintien du blocus des puissances alliées et associées
dans les conditions actuelles, -les navires de commerce
allemands trouvés en mer restant sujets à capture.
(Applaudissements).
" Les Alliés et les Etats-Unis envisagent le ravitaillement de
l’Allemagne pendant l’armistice dans la mesure reconnue
nécessaire.
" 27. Groupement et immobilisation dans les bases allemandes
désignées par les alliées et les Etats-Unis de toutes les
forces aériennes.
" 28. Abandon par l’Allemagne, sur place et intacts, de tout
le matériel de port et de navigation fluviale, de tous les
navires de commerce, remorqueurs, chalands, de tous les
appareils, matériel et approvisionnements de toute nature en
évacuant la côte et les ports belges.
" 29. Evacuation de tous les ports de la mer Noire par
l’Allemagne et remise aux Alliés et aux Etats-Unis de tous les
bâtiments de guerre russes saisis par les Allemands dans la
mer Noire. (Applaudissements.) Libération de tous les
navires de commerce neutres saisis –remise de tout le matériel
de guerre ou autre saisi dans ces ports – et abandon du
matériel allemand énuméré à la clause 28.
" 30. Restitution, sans réciprocité, dans des ports désignés
par les Alliés et les Etats-Unis, de tous les navires de
commerce appartenant aux puissances alliées et associées,
actuellement au pouvoir de l’Allemagne.
" 31. Interdiction de toute destruction des navires ou de
matériel avant évacuation, livraison ou restitution.
" 32. Le gouvernement allemand notifiera formellement à tous
les gouvernements neutres et en particulier aux gouvernements
de Norvège, de Suède, du Danemark et de la Hollande que toutes
les restrictions imposées au trafic de leurs bâtiments avec
les puissances alliées ou associées soit par le gouvernement
allemand lui-même –soit par des entreprises allemandes
privées- soit en retour de concessions définies comme
l’exportation de matériaux de constructions navales ou non
sont immédiatement annulées.(Applaudissements.)
" 33. Aucun transfert de navires marchands allemands de toute
espèce sous un pavillon neutre quelconque ne pourra avoir lieu
après la signature de l’armistice.
f)
Durée de l’armistice
" 34. – La durée de l’armistice est
fixée à trente-six jours avec faculté de prolongation.
" Au cours de cette durée l’armistice peut, si les clauses ne
sont pas exécutées, être dénoncé par l’une des parties
contractantes, qui devra en donner le préavis quarante-huit
heures à l’avance. Il est entendu que l’exécution des articles
3 et 28 ne donnera lieu à dénonciation de l’armistice pour
insuffisance d’exécution dans les délais voulus que dans le
cas d’une exécution mal intentionnée.
" Pour assurer dans les meilleures conditions l’exécution de
la présente convention le principe d’une commission
d’armistice internationale permanente est admis. Cette
commission fonctionnera sous la haute autorité du commandement
en chef militaire et naval des armées alliées.
" Le présent armistice a été signé le 11 novembre 1918, à cinq
heures (heure française)
" Signé : FOCH
(Exclamations enthousiastes – MM. Les députés se lèvent)
WEYMISS, amiral. ERZBERGER, OBERNDORFF, WINTERFELDT,
VANSELOW. "
Messieurs, je cherche vainement ce qu’en une pareille heure,
après cette lecture devant la Chambre des représentants
français, je pourrais ajouter. Je vous dirai seulement que,
dans un document allemand et dont, par conséquent, je n’ai pas
à donner lecture à cette tribune en ce moment, document qui
contient une protestation contre les rigueurs de l’armistice,
les signataires dont je viens de vous donner les noms
reconnaissent que la discussion a été conduite dans un grand
esprit de conciliation.
Pour moi, la convention d’armistice lue, il me semble qu’à
cette heure, en cette heure terrible, grande et magnifique,
mon devoir est accompli.
Un mot seulement. Au nom du peuple français, au nom du
Gouvernement de la République française, j’envoie le salut de
la France une et indivisible à l’Alsace et la Lorraine
retrouvées. (Vives et unanimes acclamations. –Tous les
députés se lèvent et applaudissent longuement.)
M. Petitjean. Vive l’Alsace-Lorraine française !
M. Lazare Weiller. Au nom des deux seuls Alsaciens et
de nos chers collègues lorrains de cette Chambre, ma poitrine
gonflée de joie a besoin de crier "" Vive Clemenceau . "
M. le président du conseil. Et puis, honneur à nos
grands morts, qui nous ont fait cette victoire. (Nouvelles
acclamations unanimes. –Tous les députés se lèvent.) Par
eux, nous pouvons dire qu’avant tout armistice, la France a
été libérée par la puissance des armes. (Applaudissements
unanimes et répétés.)
M. Petitjean. Vive la victoire !
M. le président du conseil. Quant aux vivants, vers
qui, dès ce jour, nous tendons la main et que nous
accueillerons, quand ils passeront sur nos boulevards, en
route vers l’Arc de Triomphe, qu’ils soient salués d’avance !
Nous les attendons pour la grande œuvre de reconstruction
sociale. (Vifs applaudissements.) Grâce à eux, la France, hier
soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera
toujours le soldat de l’idéal ! (Applaudissements
enthousiastes. –MM. Les députés se lèvent et acclament
longuement M. le président du conseil.)
M. le président. La voilà donc enfin, l’heure bénie
pour laquelle nous vivions depuis quarante-sept ans !
–quarante-sept ans pendant lesquels n’a cessé de retentir en
nos âmes le cri de douleur et de révolte de Gambetta, de Jules
Grosjean, de Keller et des députés d’Alsace-Lorraine, celui de
Victor Hugo, d’Edgar Quinet et de Georges Clemenceau (vifs
applaudissements) quarante-sept ans, pendant lesquels
l’Alsace-Lorraine bâillonnée n’a cessé de crier vers la
France ! Un demi-siècle ! et demain, nous serons à Strasbourg
et à Metz ! Nulle parole humaine ne peut égaler ce bonheur !
(Applaudissements unanimes et prolongés.)
Provinces encore plus tendrement aimées parce que vous
fûtes plus misérables, chair de notre chair, grâce, force et
honneur de notre Patrie, un barbare ennemi voulait faire de
vous le signe de sa conquête, non vous êtes le gage sacré de
notre unité nationale et de notre unité morale, car toute
notre histoire resplendit en vous ! (Très bien ! très bien
!) Oui, c’est toute la France, la France de tous les temps,
notre ancienne France comme celle de la Révolution et de la
République triomphante, qui, respectueuse de vos traditions,
de vos coutumes, de vos libertés, de vos croyances, vous
rapporte toute sa gloire ! (Acclamations unanimes. –MM. Les
députés se lèvent.)
Et maintenant, Français, inclinons-nous pieusement devant
les artisans magnifiques du grand œuvre de justice, ceux de
1870 et ceux de 1914. Ceux de 1870 sauvèrent –non l’honneur,
certes : l’honneur était sauf, j’en atteste les mânes des
héros de Reichshoffen, de Gravelotte, de Sain-Privat, de
Beaumont, Beaumont où les fils de compagnons de La Fayette
viennent de venger Sedan (Vifs applaudissements répétés.)–mais
ils sauvèrent l’avenir. Leur résistance a préparé nos
victoires.
Et vous, combattants sublimes de la grande guerre, Français et
alliés, votre courage surhumain a fait de l’Alsace-Lorraine,
aux yeux de l’univers, la personnification même du droit (Applaudissements
prolongés –MM. Les députés se lèvent) ; le retour de nos
frères exilés n’est pas seulement la revanche nationale, c’est
l’apaisement de la conscience humaine (Vives acclamations)
et le présage d’un ordre plus haut. (Acclamations unanimes.
–Tous les députés se lèvent et applaudissement longuement.)
M. Albert Thomas. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Albert Thomas.
M. Albert Thomas. Nous demandons que les députés
d’Alsace-Lorraine qui sont présents dans cette salle aient les
honneurs de la séance. (vifs applaudissements. –MM. Les
députés se lèvent et acclament MM. l’abbé Wetterlé et Weil,
députés d’Alsace-Lorraine, qui se trouvent dans une tribune.)