ECJS

St Louis Ste Marie

Les abolitions
de l’esclavage


Nouveautés du site

RESSOURCES
Programmes
Documents
d'accompagnements

Textes fondateurs

Institutions
Imagerie
Symboles de la République
Evènements - mémoires

Actualités
Relations Internationales
Europe 

SITES UTILES
Ressources média
Ressources documentaires
Sites institutionnels

Sites académiques
Sites associatifs


SEQUENCES

Thèmes de réflexion
Expériences pédagogiques
Aide méthodologique
Dossiers

  ! Insolite !   Archives

Site ECJS Accueil
 


Site St Louis Ste Marie

Les abolitions de l’esclavage

10 MAI 2006 : MÉMOIRE DE LA TRAITE NÉGRIÈRE,
DE L’ESCLAVAGE ET DE LEURS ABOLITIONS

Le 30 janvier 2006, dans son allocution à l’occasion de la réception en l’honneur du Comité pour la mémoire de l’esclavage, le Président de la République a souhaité que la France métropolitaine honore le souvenir des esclaves et commémore l’abolition de l’esclavage. Il a choisi pour cela le 10 mai, date anniversaire de l’adoption à l’unanimité par le Sénat de la loi de 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité.
Le Chef de l’État a affirmé qu’“au-delà de l’abolition, c’est aujourd’hui l’ensemble de la mémoire de l’esclavage longtemps refoulée qui doit entrer dans notre histoire : une mémoire qui doit être véritablement partagée”. C’était en appeler d’abord à la responsabilité de l’éducation nationale.
Le Président de la République a aussi tenu à souligner qu’au-delà de cette commémoration, l’esclavage devait trouver sa juste place dans les programmes de l’éducation nationale à l’école primaire, au collège et au lycée.
La circulaire n° 2005-172 du 2 novembre 2005, publiée au B.O. n° 41 du 10 novembre 2005, a invité les rectrices et recteurs d’académie à sensibiliser tous les acteurs du monde éducatif à la mise en œuvre de projets relatifs à l’esclavage, à la traite et à leurs abolitions, dans le cadre des enseignements et des actions éducatives. Le 10 mai sera donc l’occasion de mettre en valeur les réalisations. Je rappelle à ce propos la possibilité offerte de distinguer les meilleures réalisations au titre de la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage dans le cadre du Prix des droits de l’Homme - René Cassin qui, outre les contributions autour du thème choisi annuellement, peut également récompenser d’autres actions réalisées dans les établissements (cf. note de service n° 2005-053 du 7 avril 2005 publiée au B.O. n° 16 du 21 avril 2005). En outre, à l’initiative du Comité pour la mémoire de l’esclavage, un prix annuel est dédié à une thèse sur l’esclavage ou ses abolitions, offrant ainsi la possibilités de publier et faire connaître les meilleurs travaux de recherche.
De nombreuses manifestations publiques marqueront cette journée commémorative.
Dans les écoles et les établissements scolaires, les enseignants sont appelés à organiser un moment particulier de réflexion dans le cadre de la classe au cours duquel ils liront un texte choisi parmi ceux qui sont proposés ci-après. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une action de nature pédagogique ni didactique - même si les textes peuvent appeler des explications notamment sur le contexte historique et esthétique dans lequel ils s’inscrivent - mais d’un moment de fraternité dans le souvenir des longues et terribles “nuits sans nom” et “sans lune” qui furent celles des esclaves.
Je vous remercie de toute l’attention que vous accorderez à la réussite de cette journée.
Encart du B.O. n°16 du 20 avril 2006

  2004, Année internationale
  de la lutte contre l’esclavage et de son abolition


Symboles républicains

DECRET DU 16 PLUVIOSE AN II 
4 février 1794

La Convention nationale :

déclare aboli l'esclavage des nègres dans toutes les colonies : en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleurs, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution.

renvoie au Comité de salut public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour l'exécution du décret.


Allégorie de l'abolition de l'esclavage de 1794
 Bureau du Patrimoine. Conseil Régional de la Martinique. Photo A. Guillard. Musées du Château. Ville de Nantes.

DECRET DU 27 AVRIL 1848 [Ministère de la Marine et des Colonies, Direction des colonies]

Au nom du peuple français,  Le Gouvernement provisoire,

Considérant
que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine; qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir; qu'il est une violation flagrante du dogme républicain "Liberté-Egalité-Fraternité";
Considérant
que, si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ;

Décrète :

Article 1
L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits.

Article 2
Le système d'engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.

Article 3
Les gouverneurs ou commissaires généraux de la République sont chargés d'appliquer l'ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l'île de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et dépendances, et en Algérie.

Article 4
Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n'auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.

Article 5
L'Assemblée nationale réglera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons.

Article 6
Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l'Inde seront représentées à l'Assemblée nationale.

Article 7
Le principe "que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche" est applicable aux colonies et possessions de la République.

Article 8
A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exportation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraîne la perte de la qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étrangers, par héritage, don ou mariage, devront sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai, à partir du jour où leur possession aura commencé.

Article 9
Le ministre de la Marine et des colonies et le ministre de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.

Fait à Paris
, en conseil de gouvernement, le 27 avril 1848.
Signé : les membres du Gouvernement provisoire, Dupont (de l'Eure), Lamartine, Armand Marrast, Garnier-Pagès, Albert, Marie, Ledru-Rollin, Flocon,Crémieux, Louis Blanc, Arago. Le secrétaire général du Gouvernement provisoire

DECISION D'EMANCIPATION DES ESCLAVES 
Abraham Lincoln, président des Etats-Unis, 1863.

"Je, Abraham Lincoln, président des Etats-Unis, en vertu du pouvoir qui m'est conféré comme commandant en chef de l'armée et de la marine des Etats-Unis à une époque de rébellion armée effective contre l'autorité et le gouvernement des Etats-Unis, et comme mesure de guerre convenable et nécessaire pour anéantir la susdite rébellion, en ce premier jour de janvier 1863, et en accord avec mon projet d'agir ainsi, publiquement proclamé, ordonne et déclare que toutes les personnes possédées comme esclaves dans les Etats et parties d'Etats ci-dessus désignés sont libres et le seront à l'avenir; et que le gouvernement exécutif des Etats-Unis, y compris ses autorités militaires et navales, reconnaîtra et maintiendra la liberté des susdites personnes."

TREIZIEME AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DES ETATS-UNIS 
Washington, 18 décembre 1865

Article 1
Il n'existera dans les Etats-Unis, et dans toute localité soumise à leur juridiction, ni esclavage, ni servitude involontaire, si ce n'est à titre de peine d'un crime dont l'individu aurait été dûment déclaré coupable.

Article 2
Le Congrès est autorisé à faire exécuter cet article par voie législative.

Fait à Washington
, ce 18 décembre 1865, l'An XC de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique.
Signé : William H. Seward, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis.

 

                  La Déclaration des Droits
                  de l'Homme et du Citoyen
                 
                                                                                                      Retour textes fondateurs

Victor Schœlcher Né le 22 juillet 1804 à Paris fils du porcelainier Marc Schœlcher, cet homme a consacré sa vie à la défense de la liberté des noirs et à l'égalité entre tous les citoyens. Suite à un voyage d'affaire au Mexique en 1828, il découvre Cuba où l'esclavage lui apparaît comme une horreur. De retour en France, il publie des articles, des ouvrages, multiplie ses déplacements d'information et adhère à la Société pour l'abolition de l'esclavage. Sous secrétaire-d'Etat dans le gouvernement provisoire de 1848, il contribue à faire adopter le décret sur l'abolition de l'esclavage dans les colonies. Le décret signé par tous les membres du gouvernement parait au Moniteur le 5 mars. Député de la Guadeloupe et de la Martinique de 1848 à 1851, il siège à gauche. Le coup d'Etat de Louis Napoléon le pousse à l'exil en Angleterre jusqu'en 1870. Après l'abdication de Napoléon III, il est réélu député de la Martinique à l'Assemblée Nationale (1871) puis sénateur inamovible (1875). Enterré au Père Lachaise, ses cendres sont transférées en 1949, au Panthéon.

                       L'abolition de l'esclavage sera commémorée le 10 mai

Le chef de l'Etat a retenu la date à laquelle l'Assemblée a qualifié l'esclavage de crime contre l'humanité :
instauration, le 10 mai en France métropolitaine, d'une journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage.
"La grandeur d'un pays, c'est d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d'ombre. Notre histoire est celle d'une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été", a souligné le chef de l'Etat lors d'un discours solennel à l'Elysée.
"C'est pourquoi je souhaite que, dès cette année, la France métropolitaine honore le souvenir des esclaves et commémore l'abolition de l'esclavage", a-t-il dit en présence du Comité pour la mémoire de l'esclavage présidé par l'écrivain guadeloupéen Maryse Condé.
"Ce sera, comme le propose votre rapport, au terme d'un travail très approfondi, le 10 mai, date anniversaire de l'adoption à l'unanimité par le Sénat, en deuxième et dernière lecture, de la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme un crime contre l'humanité", a-t-il précisé.
Dès cette année. "Aucune date ne saurait concilier tous les points de vue. Mais ce qui compte, avant tout, c'est que cette journée existe. Elle ne se substituera pas aux dates qui existent déjà dans chaque département d'outre-mer", a-t-il poursuivi.
"Dès le 10 mai de cette année, des commémorations seront organisées dans les lieux de mémoire de la traite et de l'esclavage en métropole, outre-mer et, je le souhaite, sur le continent africain. Votre Comité devra y veiller", a ajouté Jacques Chirac.
Mission pour un Centre sur l'esclavage. Le président Jacques Chirac a confié à l'écrivain Edouard Glissant la présidence d'une mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite et à l'esclavage.
le chef de l'Etat a souligné que "la mémoire de l'esclavage doit s'incarner dans un lieu ouvert à tous les chercheurs et au public".
"J'ai décidé de confier à Edouard Glissant, l'un de nos plus grands écrivains, homme de mémoire et de l'universel, la présidence d'une mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions", a déclaré Jacques Chirac.
Il a précisé que le Comité pour la mémoire de l'esclavage serait "étroitement associé à cette mission".
Ce Centre devra "témoigner symboliquement de la capacité de la nation à se rassembler" au-delà des polémiques nées de la concurrence des mémoires, a-t-on souligné dans l'entourage du chef de l'Etat.
Source: extrait de NOUVELOBS.COM | 30.01.06 |

Annexe

TEXTE 1

Au Port-Louis de l’Île-de-France, ce 25 avril 1769.

[...] p s. je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l’Amérique afin d’avoir une terre pour les planter ; on dépeuple l’Afrique afin d’avoir une nation pour les cultiver [...]

Ces belles couleurs de rose et de feu dont s’habillent nos dames ; le coton dont elles ouatent leurs jupes ; le sucre, le café, le chocolat de leurs déjeuners, le rouge dont elles relèvent leur blancheur : la main des malheureux noirs a préparé tout cela pour elles. Femmes sensibles, vous pleurez aux tragédies, et ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des pleurs et teint du sang des hommes [...]

Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l’Isle de France.  Lettre 12
Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par l’Institut national de la langue française (INaLF)/CNRS, Gallica bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

TEXTE 2

Mes amis,

Quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. La nature vous a formés pour avoir le même esprit, la même raison, les mêmes vertus que les Blancs. Je ne parle ici que de ceux d’Europe ; car pour les Blancs des colonies, je ne vous fais pas l’injure de les comparer à vous ; je sais combien de fois votre fidélité, votre probité, votre courage ont fait rougir vos maîtres. Si on allait chercher un homme dans les îles de l’Amérique, ce ne serait point parmi les gens de chaire blanche qu’on le trouverait.

Votre suffrage ne procure point de places dans les colonies ; votre protection ne fait point obtenir de pensions ; vous n’avez pas de quoi soudoyer les avocats : il n’est donc pas étonnant que vos maîtres trouvent plus de gens qui se déshonorent en défendant leur cause, que vous n’en avez trouvés qui se soient honorés en défendant la votre. Il y a même des pays où ceux qui voudraient écrire en votre faveur n’en auraient point la liberté. Tous ceux qui se sont enrichis dans les îles aux dépens de vos travaux et de vos souffrances, ont, à leur retour, le droit de vous insulter dans des libelles calomnieux ; mais il n’est point permis de leur répondre. Telle est l’idée que vos maîtres ont de la bonté et de leurs droits ; telle est la conscience qu’ils ont de leur humanité à votre égard. Mais cette injustice n’a pas été pour moi qu’une raison de plus pour prendre, dans un pays libre, la défense de la liberté des hommes. Je sais que vous ne connaîtrez jamais cet ouvrage, et la douceur d’être béni par vous me sera toujours refusée. Mais j’aurai satisfait mon cœur déchiré par le spectacle de vos maux, soulevé par l’insolence absurde des sophismes de vos tyrans. Je n’emploierai point l’éloquence, mais la raison ; je parlerai, non des intérêts du commerce, mais des lois de la justice.

Vos tyrans me reprocheront de ne dire que des choses communes, et de n’avoir que des idées chimériques : en effet, rien n’est plus commun que les maximes de l’humanité et la justice ; rien n’est plus chimérique que de proposer aux hommes d’y conformer leur conduite.

Condorcet, Épître dédicatoire aux Nègres esclaves, mes amis
Texte publié en tête de la brochure intitulée “Réflexions sur l’esclavage des Nègres”, par M. Schwartz, pasteur du Saint Évangile à Bienne, membre de la société économique de Berne, Neufchâtel, 1781 IV-XVIII-86 pages. Seconde édition en 1788.

TEXTE 3

Pour Alejo Carpentier

Il est des nuits sans nom
il est des nuits sans lune
où jusqu’à l’asphyxie
moite
me prend
l’âcre odeur du sang
jaillissant
de toute trompette bouchée

Des nuits sans nom
des nuits sans lune
la peine qui m’habite
m’oppresse
la peine qui m’habite
m’étouffe

Nuits sans nom
nuits sans lune
où j’aurais voulu
pouvoir ne plus douter
tant m’obsède d’écœurement
un besoin d’évasion

Sans nom
sans lune
sans lune
sans nom
nuits sans lune
sans nom sans nom
où le dégoût s’ancre en moi
aussi profondément qu’un beau poignard malais

Léon-Gontran Damas, Pigments, Paris, Les éditions Présence africaine, 1937.

 

TEXTE 4

POURQUOI EN VOULOIR A TOUS CEUX DONT JE SUIS
qui retrouvent enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux Klouss
Maskililis
malins qui dansent
m’expliquerez-vous pourquoi tou-
jours sur cet immense fond rouge
de sang d’hommes jusqu’au der-
nier armés de sagaies et de flèches
à l’usage inutiles
Être de ceux qui jamais n’ont cessé d’être
un souvenir qui soudain retrouve enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux Klouss
c’est bel et bien restituer
le parfum fort du rythme des heures claires
battu le rythme
coupé le rythme
et
refoulé le rythme
Être de ceux qui jamais n’ont cessé d’être
un souvenir qui soudain retrouve enfin
le fil du drame interrompu
au bruit lourd des chaînes
du brigantin frêle
mouillant dans l’aube grise de l’Anse aux Klouss
Maskililis
malins qui dansent
m’expliquerez-vous pourquoi tou-
jours sur cet immense fond rouge
de sang d’hommes jusqu’au der-
nier armés de sagaies et de flèches
à l’usage inutiles
Léon-Gontran Damas Black-Label, IV
(Extrait), Gallimard, NRF, Paris, 1956

TEXTE 5

Ah ! me soutient l’espoir qu’un jour je coure devant
toi, Princesse, porteur de ta récade à l’assemblée des peuples.
C’est un cortège plus de grandeur que celui même de
l’Empereur Gongo-Moussa en marche vers l’Orient étincelant.
O désert sans ombre désert, terre austère terre de pureté,
de toutes mes petitesses
Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé.
Que me lave la face ta lumière qui n’est point subtile,
que ta violence sèche me baigne dans une tornade de sable
Et tel le blanc méhari de race, que mes lèvres de neuf
jours en neuf jours soient chastes de toute eau
terrestre, et silencieuses.
Je marcherai par la terre nord-orientale, par l’Égypte
des temples et des pyramides
Mais je vous laisse Pharaon qui m’a assis à sa droite
et mon arrière grand-père aux oreilles rouges.
Vos savants sauront prouver qu’ils étaient hyperboréens
ainsi que toutes mes grandeurs ensevelies.
Cette colonne solennelle, ce ne sont plus quatre mille
esclaves portant chacun cinq mithkals d’or
Ce sont sept mille nègres nouveaux, sept mille soldats
sept mille paysans humbles et fiers
Qui portent les richesses de ma race sur leurs épaules musicales.
Ses richesses authentiques. Non plus l’or ni l’ambre ni
l’ivoire, mais les produits d’authentiques paysans et
de travailleurs à vingt centimes l’heure
Mais toutes les ruines pendant la traite européenne des nègres
Mais toutes les larmes par les trois continents, toutes
les sueurs noires qui engraissèrent les champs de
canne et de coton
Mais tous les hymnes chantés, toutes les mélopées
déchirées par la trompette bouchée
Toutes les joies dansées oh ! toute l’exultation criée.
Ce sont sept mille nègres nouveaux, sept mille soldats
sept mille paysans humbles et fiers
Qui portent les richesses de ma race sur leurs épaules d’amphore
La Force la Noblesse la Candeur
Et comme d’une femme, l’abandonnement ravie à la
grande force cosmique, à l’Amour qui meut les mondes chantants.

Léopold Sédar Senghor, Chants d’ombre, Que m’accompagnent Kôras et Balafong, VIII, in Œuvre poétique, Éditions du Seuil, Paris, 1945, réédition 2006.

TEXTE 6

[...] Le 27 avril 1848, un peuple qui depuis des siècles piétinait sur les degrés de l’ombre, un peuple que depuis des siècles le fouet maintenait dans les fosses de l’histoire, un peuple torturé depuis des siècles, un peuple humilié depuis des siècles, un peuple à qui on avait volé son pays, ses dieux, sa culture, un peuple à qui ses bourreaux tentaient de ravir jusqu’au nom d’homme, ce peuple-là, le 27 avril 1848, par la grâce de Victor Schoelcher et la volonté du peuple français, rompait ses chaînes et au prometteur soleil d’un printemps inouï, faisait irruption sur la grande scène du monde.

Et voici la merveille, ce qu’on leur offrait à ces hommes montés de l’abîme ce n’était pas une liberté diminuée ; ce n’était pas un droit parcellaire ; on ne leur offrait pas de stage ; on ne les mettait pas en observation, on leur disait : “Mes amis il y a depuis trop longtemps une place vide aux assises de l’humanité. C’est la vôtre.”

Et du premier coup, on nous offrait toute la liberté, tous les droits, tous les devoirs, toute la lumière. Eh bien la voilà, l’œuvre de Victor Schoelcher. L’œuvre de Schoelcher, ce sont des milliers d’hommes noirs se précipitant aux écoles, se précipitant aux urnes, se précipitant aux champs de bataille, ce sont des milliers d’hommes noirs accourant partout où la bataille est de l’homme ou de la pensée et montrant, afin que nul n’en ignore, que ni l’intelligence ni le courage ni l’honneur ne sont le monopole d’une race élue. [...]

Aimé Césaire, extrait du discours prononcé le 21 juillet 1945 à l’occasion de la fête traditionnelle dite de Victor Schœlcher, publié dans Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage, éditions Le capicin, Lectoure, mars 2004, p. 58.

TEXTE 7

La tristesse du diable

Silencieux, les poings aux dents, le dos ployé,
enveloppé du noir manteau de ses deux ailes,
sur un pic hérissé de neiges éternelles,
une nuit, s’arrêta l’antique foudroyé.
La terre prolongeait en bas, immense et sombre,
les continents battus par la houle des mers ;
au-dessus flamboyait le ciel plein d’univers ;
mais lui ne regardait que l’abîme de l’ombre.
Il était là, dardant ses yeux ensanglantés
dans ce gouffre où la vie amasse ses tempêtes,
où le fourmillement des hommes et des bêtes
pullule sous le vol des siècles irrités.
Il entendait monter les hosannas serviles,
le cri des égorgeurs, les te deum des rois,
l’appel désespéré des nations en croix
et des justes râlant sur le fumier des villes.
Ce lugubre concert du mal universel,
aussi vieux que le monde et que la race humaine,
plus fort, plus acharné, plus ardent que sa haine,
tourbillonnait autour du sinistre immortel.
Il remonta d’un bond vers les temps insondables
où sa gloire allumait le céleste matin,
et, devant la stupide horreur de son destin,
un grand frisson courut dans ses reins formidables.
Et se tordant les bras, et crispant ses orteils,
lui, le premier rêveur, la plus vieille victime,
il cria par delà l’immensité sublime
où déferle en brûlant l’écume des soleils :
- les monotones jours, comme une horrible pluie,
s’amassent, sans l’emplir, dans mon éternité ;
force, orgueil, désespoir, tout n’est que vanité ;
et la fureur me pèse, et le combat m’ennuie.
Presque autant que l’amour la haine m’a menti :
j’ai bu toute la mer des larmes infécondes.
Tombez, écrasez-moi, foudres, monceaux des mondes !
Dans le sommeil sacré que je sois englouti !
Et les lâches heureux, et les races damnées,
par l’espace éclatant qui n’a ni fond ni bord,
entendront une voix disant : Satan est mort !
Et ce sera ta fin, œuvre des six journées !

Leconte de Lisle, Poèmes barbares, 1872
Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par l’Institut national de la langue française (INaLF)/CNRS, Gallica bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.