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  LA DISCRIMINATION POSITIVE


La discrimination positive facilite-t-elle l'intégration?   

                                                                        Thème 3 de Première: République et particularismes
Discrimination positive
: - action visant à favoriser certains groupes sous-représentés afin de corriger les inégalités.
Imposer "une discrimination positive pour permettre aux femmes d'accéder à des postes de responsabilité"
(Le Monde, 2000)
 - « c' est un principe : il s’agit d’instituer des inégalités pour promouvoir l’égalité, en accordant à certains un traitement préférentiel. On espère de la sorte rétablir une égalité des chances compromise par deux phénomènes : la généralisation ou la persistance de pratiques racistes ou sexistes d’une part, une accentuation des inégalités socio-économiques d’autre part… » Baptiste Villenave
Les Anglo-Saxons préfèrent parler d’« affirmative action ».

Un plan pour l'égalité,
par
Patrick Weil

Faut-il adopter en France des politiques d'affirmative action ? La question est devenue légitime tant les discriminations à l'encontre de Français de couleur mettent en cause l'un des fondements essentiels de notre république : l'égalité devant la loi, sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Il ne s'agit pas d'un problème lié au caractère récent de l'immigration ou encore à la différence culturelle ou religieuse : nos compatriotes d'outre-mer ne sont pas des immigrés ou des Français récents et ils sont dans leur majorité catholiques. Ils sont pourtant bel et bien absents des sphères dirigeantes de notre société.
Les études scientifiques le montrent aujourd'hui suffisamment : des discriminations touchent - au-delà des populations arrivées récemment d'Afrique ou d'ailleurs, souvent musulmanes - les Français et les étrangers de couleur. Et la législation qui s'attaque au racisme direct ou les politiques de zones - franches, urbaines ou d'éducation prioritaire - n'ont pas réussi à circonvenir ces phénomènes.
Aux Etats-Unis, des politiques de préférence raciale ont permis, depuis le début des années 1970, la promotion réelle et visible dans les hautes sphères de la société, dans les métiers les plus valorisés, dans la politique, principalement des Noirs, plus généralement de tous les groupes victimes dans le passé de discrimination officielle. Elles interviennent dans trois domaines : l'emploi, l'attribution de marchés publics et l'accès aux universités.
Dans le même temps, l'affirmative action n'a pas eu que des conséquences positives. Une partie des Noirs américains laissés sur le bord de la route ont vu leur situation non pas s'améliorer, mais se dégrader. Le politiste Andrew Hacker parle aujourd'hui de l'existence aux Etats-Unis de deux nations - noire et blanche - séparées, hostiles et inégales.
Est-il possible en France d'arriver aux mêmes résultats positifs sans être confrontés aux mêmes conséquences ? Pour cela, il faut peut-être sélectionner, dans la diversité des expériences américaines, celles qui sont le mieux à même de prendre greffe chez nous. Les contextes sont différents. Il faut donc bien cerner la particularité du problème français et ne se tromper ni d'objectif ni de méthode. A la fin des années 1960, la république américaine sortait de deux siècles de discrimination légale, instituée au cœur même de son territoire et de son système politique : d'abord un siècle d'esclavage puis - celui-ci aboli - de ségrégation légitimée par le droit et la Cour suprême. La France et les Etats-Unis ne partent donc pas du même point.
Le contexte social et institutionnel est également différent. En France, l'accès de tous à la protection sociale et à la santé est garanti et notre système scolaire assure une égalité minimale des moyens et des enseignants sur l'ensemble du territoire national.
Enfin, le contexte culturel de chaque pays est spécifique. Aux Etats-Unis, on compte les habitants par race depuis la création de la république. Dans les universités, la préférence raciale est venue s'ajouter à d'autres voies spéciales toujours ouvertes, pour les sportifs, mais surtout pour les enfants d'anciens élèves. Pendant quarante ans, 20 % des étudiants admis à Harvard l'ont été en raison de leur lien de filiation avec des anciens de l'université. Les enfants d'anciens élèves ont trois fois plus de chances d'être admis dans les universités de l'Ivy League que les autres candidats.
De fait, la politique du multiculturalisme est plus populaire dans les milieux académiques américains que dans les milieux ouvriers, attachés à leur identité de classe et au principe d'égalité. La réserve, le sentiment d'abandon éprouvé par ces derniers n'ont pas été sans conséquences politiques.
En France, le besoin d'égalité est d'autant plus fort que son principe est inscrit au cœur des valeurs républicaines. Il n'est pas exempt d'hypocrisie et son formalisme camoufle de profondes injustices concrètes. Mais sa légitimité recèle cependant contre les discriminations les meilleures ressources pour l'action. Or compter par race ou ethnie est contraire à nos traditions. Si l'on veut en faire la condition sine qua non de la lutte contre les discriminations dans l'entreprise, on risque alors de renvoyer aux calendes grecques tout changement, alors qu'il est urgent d'agir. Introduire de la diversité dans les grandes écoles, c'est bien. Mais si l'on se contentait de n'introduire qu'un zeste de diversité, tout en continuant de tenir de facto une grande majorité des élèves à l'écart de toute possibilité d'y accéder, alors on créerait de la discrimination dans la discrimination. Et l'on donnerait le sentiment qu'il ne s'agit là pour une élite parisienne que de garantir plus sûrement sa reproduction sociale et familiale.
Car le problème français est à la fois plus large et plus restreint : plus large, car la ségrégation urbaine et la difficulté de plus en plus grande qu'a l'école de jouer son rôle de promotion sociale touchent, au-delà des immigrés et de leurs enfants, des millions de familles d'ouvriers ou d'employés. Le sentiment de relégation ne concerne pas que les habitants des ZEP. Il n'est pas ressenti seulement en banlieue, mais aussi en province et outre-mer. Ce sentiment d'une coupure de plus en plus grande entre l'élite parisienne et le reste du pays s'aggrave. Il est fondé sur des réalités objectives. On ne sait plus, dans les Pyrénées-Orientales, en Savoie, dans le Puy-de-Dôme ou dans le Calvados, comment s'y prendre pour "monter à Paris". Les modes de sélection des grandes écoles aujourd'hui sont tels que les enfants des classes moyennes et populaires en sont exclus, et, de fait, de plus en plus exclus.
Lorsqu'il s'agit d'accéder à un emploi, le problème est là plus restreint : c'est la discrimination ethnique qui est clairement en cause, mais, contrairement aux Etats-Unis, elle ne concerne pas toutes les professions. Elle est particulièrement grave pour ce qui est des cadres supérieurs du privé. Seuls 11 % des jeunes d'origine algérienne âgés de 25 à 33 ans, diplômés de l'enseignement supérieur, étaient cadres en 1990, contre 46 % des Français de naissance.
Par contre, lorsqu'il s'agit d'exercer une profession indépendante, commerçant, artisan ou chef d'entreprise, les jeunes d'origine algérienne réussissent aussi bien que les jeunes d'origine française.
Les enfants de l'immigration réussissent bien en droit ou en médecine, disciplines où le monopole de la formation est assuré par l'Université, ouverte à tous les bacheliers. C'est donc l'addition de la sélection à l'entrée des grandes écoles et de certains établissements (Instituts d'études politiques ou université Paris-Dauphine) et du mode de recrutement des cadres du privé qui provoque le plus haut degré de discrimination.
Pour y remédier, il faut donc assurer à tous une plus grande égalité des chances dans le système scolaire et lutter contre les discriminations ethniques et raciales là où elles se produisent, principalement dans l'entreprise privée. Pour assurer cette meilleure égalité des chances sur tout le territoire, je propose que l'on s'inspire des politiques pratiquées en Californie ou au Texas. Un pourcentage - par exemple 5 % - des meilleurs élèves de chaque lycée de France aurait un droit d'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l'entrée. Ce pourcentage tient compte des critiques portées à l'expérience du Texas, où le pourcentage de 10 % remplit complètement la première année de l'université de l'Etat et entraîne l'éviction de bons élèves vers des universités d'autres Etats américains. Avec 5 %, on laisse une marge de recrutement aux directions d'établissements. Cette mesure universelle s'adresse à tous les enfants du pays, de Pointe-à-Pitre à Limoges en passant par Aubervilliers, donnant la possibilité à chaque lycée de créer une dynamique positive. Elle contribuera également à casser le processus de ségrégation urbaine qui voit les familles les plus dotées se concentrer près des lycées les plus cotés.
Une révision des épreuves des concours est aussi nécessaire afin d'en éliminer les épreuves sans programme (culture générale) ou celles dont le coefficient excessif est trop discriminant socialement (par exemple les langues vivantes).
Il faut, parallèlement, investir massivement dans les universités. La France est dans le peloton de queue des pays industrialisés en matière d'enseignement supérieur. Les moyens de l'Université se sont considérablement dégradés. Elle s'est paupérisée. Et si elle doit être réformée, rappelons qu'elle accueille, sans restriction, la majorité des bacheliers et leur fournit une formation trop souvent dénigrée à tort.
Enfin, tant que les grandes écoles ne seront pas démocratisées, il faut veiller au maintien des frontières disciplinaires avec les universités : les tentatives des écoles de commerce ou des IEP de prendre pied en droit ne peuvent avoir, en l'état actuel des choses, que des conséquences négatives pour la lutte contre les discriminations.
La même démarche égalitaire doit concerner l'accès aux emplois publics : sans difficulté, on peut supprimer la distinction qui frappe les étrangers communautaires des autres et ouvrir ainsi à ces derniers la possibilité d'accéder à 5 millions d'emplois qui leur sont aujourd'hui interdits. Là aussi, il faudra procéder à une révision générale des épreuves des concours, afin d'en éliminer les plus discriminantes socialement.
Enfin, l'Etat doit assurer la gratuité des oraux d'admission lors des concours nationaux d'entrée dans l'administration. Comment peut-on tolérer que l'avantage de concourir près de chez soi soit aggravé par le coût de voyage et de séjour que doivent supporter les candidats qui n'ont pas la chance d'être domiciliés près du lieu de déroulement des épreuves ?
Pour l'entreprise privée, c'est la lutte contre les discriminations directes et indirectes qui doit être privilégiée. La discrimination indirecte, c'est celle que produisent des dispositions, des pratiques apparemment neutres, par exemple le recours systématique aux mêmes réseaux de recrutement ou aux mêmes écoles. Les entreprises devraient donc être incitées à réévaluer leurs procédures de recrutement et de stages. Elles devraient signer des conventions avec des universités, des IUT et des lycées. Les stages gratuits devraient être bannis : aux Etats-Unis comme en France, on sait que seuls peuvent se payer un stage gratuit, dans des milieux professionnels qui souvent ne recrutent que par ce biais, les jeunes appartenant à des milieux aisés. Enfin et surtout, l'anonymisation des CV (pour les embauches comme pour les stages) dans les entreprises au-delà d'un certain seuil (50 ou 100 salariés) semble indispensable. Cet anonymat ne garantira pas contre les discriminations. Mais, dans un entretien, des préjugés peuvent tomber, et il est plus facile, pour un recruteur, de jeter un bout de papier à la poubelle que de mettre un individu à la porte...
Ces quelques règles et d'autres pourraient faire partie des "bonnes pratiques" que la nouvelle haute autorité de lutte contre les discriminations, qui voit le jour en janvier 2005, aura pour mission de suggérer. Les juges pourraient les considérer comme des indices lorsqu'ils auront à appliquer, au cas par cas, la loi du 16 novembre 2001, qui inscrit pour la première fois dans le code du travail l'interdiction de toute discrimination indirecte. Pour aider la Haute Autorité, les juges et les inspecteurs du travail, les outils statistiques qui permettent de croiser le lieu de naissance de l'individu et de ses parents, leur nationalité, leur date d'arrivée en France et d'autres informations portant sur le logement, le parcours scolaire, etc., devront être développés et seront autant d'indices pour préjuger la bonne ou la mauvaise foi des entreprises.
S'attaquer ainsi sans délai aux discriminations sociales et territoriales dans le système scolaire et aux discriminations ethniques dans l'emploi privé, c'est remettre l'égalité au cœur de l'action publique. Ne plus se contenter d'invoquer les principes ou de prendre des mesures symboliques, mais faire de l'égalité une politique, c'est la voie française d'affirmative action.
Patrick Weil
est directeur de recherche au CNRS
(université Paris-I-Panthéon-Sorbonne).

 ARTICLE PARU DANS LE MONDE EDITION DU 14.12.04
 

Le souci d'une France commun,
par Blandine Kriegel

A l'occasion du Forum de la réussite des Français venus de loin, qui se tient ce samedi à l'Assemblée nationale, la philosophe Blandine Kriegel, présidente du Haut conseil à l'intégration (HCI), explique au Figaro pourquoi «notre tradition d'intégration» n'est pas caduque.
Propos recueillis par Alexis Lacroix   [11 décembre 2004]

LE FIGARO. – Quel premier bilan tirez-vous de l'action du HCI que vous présidez depuis octobre 2002 ?

Blandine KRIEGEL. – Comme en témoigne son dernier bilan annuel, le Haut Conseil à l'intégration (HCI) conduit une action intense, riche et variée, au travers d'un nombre considérable de rencontres et d'auditions, mais aussi en organisant de nombreux colloques et séminaires (1). Quant au Forum de la réussite, qui se tient aujourd'hui à l'Assemblée nationale grâce au concours de son président Jean-Louis Debré, son ambition est de mettre en exergue la réussite de personnes de nationalité française issues de l'immigration et qui se distinguent par leur parcours professionnel ou leurs initiatives, dans des domaines tels que le civisme, la vie d'entreprise, l'action sociale, l'art, le sport ou la recherche. L'opération «La réussite des Français venus de loin» vise à faire échec à une vision parfois négative – voire misérabiliste – du parcours des immigrés en France. Car cette vision est d'abord erronée.

Pourquoi affirmez-vous qu'elle est erronée ?
Il faut montrer que la société française n'a pas été changée en mal par l'immigration. Une part de ce qui fait l'image de la créativité française, une part du talent et du rayonnement de notre pays, tient à la réussite des Français venus de loin. Ce sont ces Français que nous récompensons aujourd'hui.

Comment l'action du HCI s'articule-t-elle avec la politique du gouvernement ?
La France est gouvernée, depuis 2002, par une équipe volontariste. Une équipe qui a surtout su faire prendre un tournant décisif à la politique d'immigration et d'intégration de notre pays. On assiste ainsi, depuis trente mois, selon la formule de François Fillon, à une véritable «refondation» de cette politique, qui trouve son accomplissement avec la loi de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo.

En quoi cette «refondation» s'illustre-t-elle concrètement dans le premier volet : l'immigration ?
L'accueil et l'encadrement des nouveaux arrivants sur le territoire français sont le premier défi d'une politique de l'immigration. Le rapport publié par la Cour des comptes sur les résultats «peu probants» des politiques d'intégration des immigrés en faisait état à la fin du mois de novembre : pendant des décennies, la société française dans son ensemble et ses responsables politiques ont cru qu'ils devaient traiter une immigration de travail. Cette lourde erreur d'appréciation a conduit à ignorer la véritable nature des mouvements migratoires vers notre pays – celle d'une immigration de peuplement.

Sur la base de cette erreur, on a négligé les procédures d'accueil et d'intégration ?
En effet, c'était la conséquence fatale d'une mauvaise lecture de la réalité de l'immigration, qui témoignait elle-même d'une difficulté à penser l'ampleur nouvelle des mouvements migratoires planétaires. La deuxième moitié du XXe siècle a inauguré l'ère des migrants. Depuis l'Empire romain, on n'avait jamais assisté à de tels déplacements de population. Depuis la loi Sarkozy sur l'immigration et la loi Villepin sur l'asile, on s'est attelé à réorganiser de fond en comble l'accueil des populations immigrées, notamment au travers de la mise en place du contrat d'accueil et d'intégration souhaitée par François Fillon et de la création d'une agence de l'accueil par le regroupement des anciens outils administratifs. Un outil statistique fiable, capable de délivrer une connaissance précise des populations issues de l'immigration, s'imposait : c'est chose faite depuis l'été dernier.

Mis en place par vous en juillet dernier, l'Observatoire des statistiques du Haut Conseil à l'intégration a vocation à croiser l'ensemble des données disponibles concernant l'immigration...
Le mois dernier, l'observatoire – qui constitue un outil statistique unique – a présenté son premier bilan. Le nombre de nouveaux immigrés légaux en France s'est élevé à 173 000 en 2003. Ainsi, grâce au recoupement des données fournies par toutes les administrations, le chiffrage de l'immigration légale ne donne plus lieu à des disputes comptables sans fin. Reste encore, bien sûr, à affiner notre comptage du solde migratoire – une tâche plus difficile à effectuer. La réforme de l'accueil nous place dans le rang de tête des pays européens en matière d'accueil des immigrants. L'innovation fondamentale consiste dans l'engagement de l'Etat à assurer un suivi social, à donner une formation civique aux nouveaux venus et à leur enseigner les lois de la République. En contrepartie, il est demandé à ces derniers de les respecter. Cette mesure s'inscrit dans la tradition française du contrat social. Il reste évidemment encore beaucoup à faire, mais une authentique politique d'immigration est en train de prendre forme.

Qu'en est-il du second volet : la politique d'intégration ? Tout n'est-il pas à refonder ?
De grands débats accompagnent la refondation de cette politique. S'agissant du diagnostic, il est incontestable que, même si elle a tendu à s'améliorer ces deux dernières années, la situation des jeunes issus des quartiers en difficulté demeure plus préoccupante que celle du reste de la jeunesse. La mise en place d'un comité interministériel participe de l'effort du gouvernement pour remédier à cette situation. Il faut tout mettre en oeuvre pour permettre à la République de reconquérir ses territoires délaissés. En ne prêtant pas attention qu'aux seuls échecs.

Reste que le rapport de la Cour des comptes est alarmant !
Le rapport de la Cour des comptes est important et pertinent mais il traite de la période des trente dernières années en général, sans prêter une attention au très net infléchissement de la politique des pouvoirs publics dans les quartiers sensibles. Il ne distingue quasiment pas la spécificité des deux dernières années, au point qu'on peut y lire qu'en France, il n'existe aucune mise en cohérence des données sur l'immigration ! Or, précisément, avec la création, par le HCI, de l'Observatoire des statistiques, cette imprécision n'a plus cours. Le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo témoigne en outre d'un effort considérable qui relaye l'action du gouvernement pour prévenir toute dégradation de la situation dans les zones sensibles et pour empêcher des troubles à l'ordre public dans certaines cités. Il reste donc à se mettre d'accord sur le diagnostic : certains parcours individuels sont exemplaires. Et si une minorité d'immigrés pose des problèmes graves, l'immense majorité s'intègre parfaitement. 90% des immigrés ne rencontrent pas de difficultés particulières dans la société française et n'aspirent qu'à bénéficier de l'ascenseur social, à l'instar de tous leurs compatriotes. En revanche, quand ils rencontrent des difficultés, celles-ci sont plus accusées que pour le reste de la population française.
Donc, vous refusez qu'on déclare le modèle français d'intégration caduc...

Une gauche multiculturaliste rejoint une partie de la droite fascinée par l'exemple anglo-saxon pour prôner l'abandon d'un modèle français, censé n'avoir connu que des échecs. Ainsi on s'empêche d'utiliser la capacité d'intégration de la société française et de mettre à profit les dispositifs de restauration de l'égalité des chances. Certains croient trouver le salut de nos problèmes dans le recours à des méthodes extraordinaires : le communautarisme ; les quotas ethniques ; la «discrimination positive». Si la discrimination positive consiste simplement dans la réaffirmation de la volonté de faire redémarrer l'ascenseur social, elle n'est pas en soi critiquable. Si, en revanche, l'objectif est de faire fi de notre tradition propre d'intégration et de renoncer au respect du droit commun et à la confiance dans l'action de la politique sur la société, il est de notre devoir de nous y opposer. Il ne faudrait pas qu'en important des méthodes fonctionnant parfois dans d'autres pays, nous coupions notre lien vivant avec l'héritage de l'intégration républicaine.

Comment la présidente du HCI conçoit-elle la lutte contre le communautarisme ?
L'un des aliments principaux du communautarisme est la vigueur nouvelle des passions religieuses. On se souvient que l'Europe, au terme d'une lutte intellectuelle sans relâche, est parvenue à éteindre un de ses conflits les plus inexpiables et les plus ravageurs – les guerres de religion. Mais tandis que, pour atteindre ce but, les Anglais et les Hollandais ont parié sur l'affirmation de la liberté de conscience, de la force des individus et du droit des minorités, les Français – au sein desquels les protestants formaient bien davantage qu'une minorité – ont choisi une voie sensiblement différente.

Laquelle, en l'occurrence ?
Après la bataille d'Ivry, la solution imaginée par Henri IV, de concert avec les modérés de tous les partis, a consisté dans la fondation d'un espace public neutre à l'égard des origines religieuses. Très tôt dans l'histoire moderne de notre pays, et ce, bien avant la Révolution française, des individus de toutes confessions religieuses, à l'instar du protestant Sully devenu premier ministre, ont ainsi pu accéder à des charges publiques. Pourvu que nous l'assumions, l'idéal régulateur de la tradition française, fait de générosité et de volonté de vivre ensemble dans nos différences, peut nous permettre de remporter nos défis actuels.

«Les crises de l'éducation, expliquait Péguy, sont des crises de civilisation.» Comment permettre à l'école républicaine de «refaire France» ?
Les multiculturalistes ont raison quand ils affirment la nécessité de nous ouvrir sur la différence culturelle. Ils ont tort en revanche quand ils nous exhortent à nous séparer de notre tradition d'intégration à la française. Il convient tout à la fois d'approfondir la reconnaissance de la diversité culturelle et de permettre un enseignement plus efficace de la culture commune. On ne peut pas concevoir de vivre avec des compatriotes venus des civilisations de l'islam, indienne ou d'Extrême-Orient, sans un effort de familiarité avec leurs sociétés d'origine. Cette sensibilisation doit commencer dès l'école primaire. Il faut, comme Mohammed Arkoun y avait d'ailleurs insisté, créer des chaires d'islamologie, d'études indiennes, de sinologie etc. Le HCI a également appuyé la proposition de Régis Debray d'un enseignement systématique du fait religieux.
Emmanuel Lévinas racontait qu'à son arrivée en France en 1923 la langue française lui est apparue comme «le suc du sol» de l'identité nationale...
Je suis persuadée que de nombreux jeunes Français d'origine étrangère, à l'instar d'Emmanuel Lévinas, vibrent encore à l'évocation de l'histoire de notre pays, aiment sa langue et sont avides de connaître sa culture. Lors des incidents du match France-Algérie, au cours duquel on avait sifflé le drapeau français, le footballeur Lilian Thuram, membre actuel du HCI, descendit sur le terrain pour défendre le drapeau bafoué. Indissociable de l'ouverture à la diversité culturelle, l'appren- tissage de la langue française, l'appropriation de l'histoire de la France et la connaissance de la loi commune doivent être améliorés et renforcés, car ce sont les fondamentaux d'une intégration réussie. Le souci qui anime les travaux et les initiatives du HCI est celui d'une France commune à tous, d'une communication de l'héritage français. Les réussites indubitables des Français venus de loin sont un immense encouragement dans cette tâche.

(1) Je pense, par exemple, au colloque que le HCI a organisé en partenariat avec le Maroc sur la condition des femmes, en présence de ministres français et marocains. Je songe également au colloque que nous avons consacré à l'immigration.

ARTICLE PARU DANS LE FIGARO EDITION DU 14.12.04

Villepin est contre la discrimination positive

Dominique de Villepin
, qui reçoit mardi le rapport du sociologue Azouz Begag sur l'égalité des chances, se prononce contre le concept de discrimination positive, qui "effiloche les principes républicains".
Le ministre de l'Intérieur a déclaré lundi soir sur i-télévision qu'il souhaitait étendre le système des cadets de la République, qui sont aujourd'hui 550 dans la police nationale, au corps des sapeurs-pompiers et à la gendarmerie.
"Je veux étendre cette possibilité de la police aux autres métiers de mon ministère, les sapeurs-pompiers, la gendarmerie", a-t-il dit. Les "cadets" issus des quartiers sensibles suivent une formation en alternance, avec des études au lycée et des stages en commissariat, pour préparer le concours de gardien de la paix et pour pouvoir, en cas d'échec, accéder aux postes d'adjoints de sécurité.
Dominique de Villepin a rejeté le concept de discrimination positive, cher au coeur de son prédécesseur place Beauvau, Nicolas Sarkozy. "Le problème de la discrimination positive, c'est que très vite on retient surtout la discrimination et l'aspect positif s'efface. C'est un raccourci qui peut être très intéressant dans les premières semaines, les premiers mois, les premières années, mais, au bout du compte, ces principes républicains s'effilochent et on crée une République à plusieurs vitesses", a expliqué le ministre de l'Intérieur. "Le risque de la discrimination positive, c'est (...) d'entériner à travers des quotas ethniques cette différenciation entre les uns et les autres", a-t-il ajouté.
Dans une émission diffusée dimanche sur France Inter, Nicolas Sarkozy a réitéré son engagement en faveur de la discrimination positive. Il a souligné qu'un récent sondage montrait que "plus de 60% des moins de 25 ans pensent que c'est juste" et a dit ne pas vouloir "laisser à la gauche le monopole de la lutte contre les injustices".
Dans une interview à La Croix, à paraître mardi matin, Azouz Begag indique qu'il était favorable à la discrimination positive il y a dix ans. "Mais j'ai changé d'avis. Le processus de promotion requiert du temps et une flexibilité que ne pourrait pas garantir un dispositif inspiré de la discrimination positive", "En France, Nicolas Sarkozy, qui a souhaité communiquer sur la nomination d'un préfet musulman, a pipé le débat en y introduisant le critère religieux. Une grave erreur politique. Il faut passer à autre chose", ajoute l'écrivain.
Dans son rapport, qui sera dévoilé mardi matin, Azouz Begag propose notamment au ministre de l'Intérieur une véritable campagne de recrutement des jeunes issus des quartiers sensibles, via notamment une diversification des jurys des concours et la nomination d'un directeur de l'égalité des chances, chargé de veiller au respect de la diversité au sein des métiers de la sécurité.
Il regrette aussi l'absence de toutes données statistiques sur les origines, qui est, selon lui, préjudiciable à toute action publique visant à corriger les inégalités en France.
Il propose aussi la création de brigades anti-discrimination (BAD), sur le modèle des brigades anti-criminalité (BAC), qui seraient chargées spécifiquement de la lutte contre les discriminations, notamment à l'entrée des discothèques.
PARIS (Reuters) - lundi 13 décembre 2004

 - Sites internet -

   Dossier  Politis  : Faut-il une discrimination positive ?

   Compte-rendu du café géopolitique du 5 Février 2004 : Faut-il pratiquer la discrimination positive ?

  Dossier - Faut-il développer la discrimination positive en France

   Dossier de presse :  Colloque international "La discrimination positive en France et dans le monde"
- 5 et 6 mars 2002

 Ressources, articles sur le thème de l' Égalité, Équité, discrimination positive Académie de Versailles (SES).

- Lecture -

   Daniel Sabbagh , L'Égalité par le droit : les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, Paris, Economica, collection Études politiques, 2003.

  Gwénaële Calvès, « Les politiques de discrimination positive », Problèmes politiques et sociaux, n°822, La Documentation française, Paris, juin 1999

  Gwénaële Calvès, Que Sais-Je ? n°3712. Ed. des P.U.F. Sept. 2004 
 

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