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COMMUNAUTARISME "Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton" (Albert Einstein Comment je vois le monde, 1934)
Définition :
traduction française de "communalism"
- Le
communautarisme
est le terme utilisé en France pour qualifier la revendication des droits
spécifiques de certaines minorités.
Le communautarisme est un mouvement de pensée qui fait de la communauté (ethnique, religieuse, culturelle, sociale, politique, mystique, sportive…) une valeur aussi importante, sinon plus que les valeurs universelles de liberté, d'égalité, souvent en réaction au libéralisme et à l'individualisme. - Documents -
La polémique sur les Quick halal .
Mahomet "flouté"
dans un manuel d'histoire. Sites utiles -
Observatoire indépendant d'information et de réflexion sur le communautarisme,
la laïcité, les discriminations et le racisme
-
Faut-il avoir peur des communautés et |
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Cherchons République désespérément
(Le
Nouvel Observateur)
Communautarisme, banlieues, nation,
multiculturalisme, crise d'identité.
Débat entre deux philosophes qui ne
renoncent pas dans leur quête du bien public
Régis Debray : «Cherchons religion civile désespérément» ; qu'en dit l'auteur du
«Désenchantement du monde»?
Marcel Gauchet. -Nous allons continuer à la
chercher désespérément car je ne vois pas comment nous pourrions la retrouver !
C'est là probablement que nous divergeons. Régis Debray est optimiste à sa façon
en parlant de la nécessité de retrouver une religion civile. Or, à mon sens, la
possibilité même d'une religion civile a disparu avec la source où elle pourrait
s'alimenter. Elle a perdu pour commencer ce qui lui a fourni longtemps son
ressort principal : le vis-à-vis conflictuel avec les religions constituées -
l'Eglise catholique pour la République en France. La République opposait sa
revendication de liberté au principe d'autorité qu'incarnait le catholicisme,
tout en lui empruntant une partie de son énergie sacrale.
Ce modèle a marché. L'idée républicaine en France a fonctionné comme une
puissante religion civile. Ce n'est plus le cas. Le phénomène touche l'ensemble
de l'Europe. Les religions « religieuses », si j'ose dire, y ont perdu leur
autorité sociale, et la chose collective a partout cessé d'être investie de
religiosité ou de sacralité
Régis Debray. - Il va de soi qu'une communion collective, tout
autre chose que la croyance en Dieu, ne se fabrique pas sur commande, pas plus
qu'une langue. Ce n'est pas de la plomberie, ça pousse ou non comme un arbre.
J'entends par religieux un cadre commun de confiance et de référence, un système
symbolique qui réunit les hommes en les renvoyant à autre chose qu'à eux-mêmes,
un surplomb moral et affectif, si vous préférez. Chaque fois qu'on a essayé d'en
bricoler un, comme sous la Révolution française ou avec le père Comte, le vent
l'a emporté. Une sacralité se trouve avant de se chercher. Et elle se trouve en
situation de confrontation, d'exil, d'urgence ou de péril vital. La République
est liée à l'école mais ce n'est pas un problème d'école. On l'a trop
intellectualisée. C'était une émotion partagée et on ne partage que ce qui nous
dépasse. D'où le culte de la nation, qui devait autant à l'armée qu'à l'école.
En 1792, « citoyen » était synonyme de « patriote », celui qui prend les armes
pour l'« amour sacré de la patrie ». Le problème aujourd'hui, c'est que tous les
chaînons de la citoyenneté ont sauté l'un après l'autre, de l'école primaire
jusqu'à la conscription. Les droits séparés des devoirs, les libertés de la
responsabilité, l'individu du collectif, l'expression de la discipline, le tissu
civique a été soigneusement détricoté. Une communauté républicaine n'est pas
seulement un contrat : c'est une fierté, fondée sur une mythologie et une
communauté de langue. La fuite en avant vers l'Europe, simple structure
économique et désert symbolique, n'a rien arrangé. La nation était affective, le
postnational est encore une idée. Vous vous souvenez de la une de « Libération »
après une nouvelle parfaitement inventée d'agression antisémite : « Une histoire
française ». Pour le plus clair de ses élites, la France est pourrie par nature
et destination. Pour intégrer, il faut savoir à quoi, et en avoir envie. Les
Américains n'ont aucun doute là-dessus. Bill Gates nous cache Billy Graham mais
leur religion biblico-patriotique des Etats-Unis est inscrite sur chaque dollar.
Prenez un billet d'euro, et comparez. C'est un billet de Monopoly.
M. Gauchet. - C'est vrai, mais pourquoi ? Parce que c'est là
que la « sortie de la religion » a ses racines les plus anciennes et ses
expressions les plus fortes. L'Europe reste à l'avant-garde du mouvement.
Ce qui est vrai aussi, c'est que ce mouvement crée de lourds problèmes. Il se
traduit par un énorme changement du rapport entre l'individuel et le collectif.
Le citoyen se devait à sa collectivité. C'est ce qui s'exprimait dans le
patriotisme : « Je dois quelque chose à la communauté par laquelle je suis
quelqu'un. » Les individus revendiquent aujourd'hui une relation exactement
inverse : « La collectivité me doit tout, et je ne lui dois rien. » La société
est en dette perpétuelle vis-à-vis des individus.
Pour sortir de là, il va falloir apprendre à faire sans la religion ce qu'on
faisait au travers de la religion, civile ou constituée. Ce n'est pas une
opération simple, c'est quelque chose qui ne s'est jamais vu dans l'histoire. La
survie de l'Europe en dépend. Ou les Européens seront capables d'inventer ce
nouveau rapport au collectif, ou nous verrons se généraliser une vague d'anomie
sur fond d'impotence politique. Ce sera très difficile, mais ce n'est pas
infaisable. L'enracinement de ces individus qui se croient déliés de l'histoire
qui les a faits reste puissant, même s'il est devenu confus ou inconscient. A un
moment donné, ils voudront se réapproprier leur identité collective. Ce ne se
fera pas sur un mode religieux, mais la capacité d'intégration qui en résultera
sera comparable à celle que fournissaient jadis les religions.
R. Debray. - Le travail politique, toujours et partout, c'est
faire d'un tas un tout. C'est la devise classique « E pluribus unum » : à partir
d'une multitude créer une personnalité collective qui transcendera les intérêts,
et les égoïsmes individuels, et pourra leur survivre. Pour qu'un empilement de «
je » fasse un « nous », il faut pouvoir regarder ensemble, à certains moments
plus ou moins ritualisés, vers un point de fuite à l'horizon. On ne le voit
plus. L'Europe n'a jamais été qu'une combinatoire assez branlante d'intérêts
nationaux, tout en se présentant chez nous, depuis les années 1970, comme un
mythe de substitution. Ça tenait la mer tant qu'il y avait un grand méchant en
face, l'Union soviétique. Mais une fois qu'il n'y a plus d'adversaire, il n'y a
plus de frontières mais un château de cartes. Et quand il n'y a pas de
frontières, il n'y a ni sacralité, ni nécessité, ni croyance partagée, ni
sentiment d'appartenance. Alors, faute d'histoire commune, chacun se replie sur
sa mémoire, sa micro-identité sexuelle, ethnique, religieuse, régionale... Quand
l'Europe aura le courage d'avoir des adversaires, elle commencera à exister.
Pour le moment, tous les désespoirs sont permis.
M. Gauchet. - N'oublions pas que l'Europe est le continent qui
a inventé l'Etat-nation, mais pas au singulier : c'est le continent des
Etats-nations au pluriel. C'est ici que cette formule est la plus familière, la
plus acquise, la plus enracinée, mais aussi, de ce fait, la plus invisible. Le
reste du monde est encore en train d'apprendre la langue de l'Etat-nation quand
les Européens sont en train de l'oublier, ou de s'en croire émancipés, parce
qu'ils sont trop dedans.
R. Debray. - Je citerai ici Tocqueville : « Comment la société
pourrait-elle manquer de périr, si, tandis que le lien politique se relâche, le
lien moral ne se resserrait pas ? » Pour l'heure, on vit la déliaison.
N. O. -Notre République est-elle déjà communautariste ? At-elle déjà
érigé la différence en principe d'Etat ? Si cela est vrai, faut-il baisser les
bras face au multiculturalisme ?
R. Debray. - Que cela plaise ou non, le basculement identitaire est un
fait. L'universalisme abstrait, qui postule des hommes sans qualités et sans
histoire, ferme les yeux sur les identités, et nie, par exemple, la question
coloniale, n'a jamais été viable. Il engendre en réaction le narcissisme
communautaire dans une sorte de spirale infernale, une escalade de paranoïas
victimaires. Je suis sidéré par la disparition des groupes d'affinité, des lieux
de transversalité où l'on pouvait se rassembler entre gens de toute origine
autour d'une idée ou d'un projet, de quelque chose de choisi et non de subi. La
scène intellectuelle est exemplaire à cet égard. Ses vedettes s'affichent en
porte-drapeaux, en champions de telle ou telle communauté... Je sais bien qu'un
Français déprimé fait un Breton rancunier, un Corse insurgé, un catho ombrageux,
un homo susceptible, un juif barricadé, un musulman à cran... mais tout de même
! Trop, c'est trop. Cette identité par la peau et non par l'esprit, par
filiation et non par adhésion, c'est comme la fin des Lumières. Une revanche de
Vichy. Le phénomène mondial des migrations, en plus, va exacerber les besoins de
ressourcement par l'origine, du retranchement sur le pré carré, car plus on est
déraciné, plus on a besoin de se réinventer, de se reconstruire des racines plus
ou moins fantasmatiques. Les hypersensibilités frontalières vont se multiplier,
puisque les fanatismes sont des maladies de peau, des maladies du frottement.
Bien sûr, les minorités doivent s'organiser pour pouvoir exister, mais plus ça
va, moins on sait ce que le passé nous réserve. Le dominé a une mémoire plus
longue que le dominant, et l'impérialiste n'a pas conscience de l'être. C'est le
colonisé qui lui renvoie sa vérité. Le rapport que j'ai fait sur Haïti, avec
d'autres, proposait un grand Musée de la Traite et une révision de nos manuels
scolaires. Depuis quand un républicain ne pourrait-il être anticolonialiste ? On
n'est pas forcé d'avoir honte de la République et de son histoire pour corriger
ses formidables injustices. Les Britanniques ont commémoré Trafalgar sans
complexes. L'irresponsabilité suicidaire des « néocons » à la française est de
vouloir importer le modèle communautariste américain délesté de son ciment
patriotique, qui empêche la guerre totale des races. Sarkozy me semble un homme
léger. Il ne prend que la moitié de sa métropole, autrement dit la concurrence à
tous crins, la débrouillardise individuelle, le chacun pour soi en négligeant le
déisme confédéral et le serment au drapeau. Ce serait dommage de devenir
américain pour le pire, non ?
M. Gauchet. - J'avoue ne pas parvenir à prendre au sérieux les
prétendues communautés. Elles ne me semblent pas véritablement consistantes. Je
crois qu'on confond des communautés, au sens sociologique, et des identités, ce
qui est encore autre chose, avec des communautés au sens politique. En raison de
leur héritage républicain, les Français ont une sensibilité tout à fait
particulière au phénomène communautaire qui leur brouille la vue. Toute
immigration est communautaire par un mécanisme extrêmement simple de recherche
de protection. Dans un environnement inconnu et hostile, on cherche
naturellement le proche, le familier, le confort de la langue, les liens de
solidarité. A cet égard, une certaine volonté française de ne voir que des
individus a des effets déplorables. Elle produit ces ghettos sociaux où 80
nationalités parlant 30 langues différentes cohabitent dans la même barre de
HLM. D'où l'ambiance si peu solidaire de ces ghettos.
R. Debray. - Qui sont ultraterritorialisés. Le nomadisme
postmoderne refabrique des quartiers et du territoire à tout va.
M. Gauchet. - Exact. Avec des frontières : le bosquet là, le
lampadaire ici, et après commence l'inconnu, l'étranger, l'ennemi. J'observe par
ailleurs que dans le même temps nous avons vu des communautés disparaître, comme
la communauté de classe.
R. Debray. - Parce que c'était une communauté d'espérance. Et
quand on ne partage plus l'espoir, on n'a que le ressentiment en commun.
M. Gauchet. - Pour autant ces communautés sont-elles des
communautés dans le sens politique ? C'est-à-dire des communautés qui font la
loi et qui ont autorité sur leurs membres ? Je ne le crois pas. C'est vrai dans
un certain nombre de cas limites et pathologiques des quartiers les plus
marginalisés, où la seule loi est la loi mafieuse. Mais ce n'est globalement pas
vrai de la grande masse des communautés d'immigrés qui fonctionne au titre des
liens de solidarité, d'entraide, de fraternité, mais ne donne pas de pouvoir à
ces communautés. Ce sont des communautés d'individus libres. La grande masse des
musulmans français est très peu disposée à reconnaître l'autorité de la charia
sur leur vie. Je vois bien des juifs revendiquer individuellement leur
appartenance à la communauté, mais je ne vois pas qu'ils soient disposés à lui
obéir. A fortiori, dans le cas des homosexuels, on peut dire qu'on est dans l'hyper-individualisme
postmoderne, où l'idée d'une autorité de la communauté sur le sort de ses
membres n'a même pas de sens.
R. Debray. - C'est vrai, sauf en période de confrontation, où
les communautés resurgissent en tant que telles.
M. Gauchet. - Quant au multiculturalisme, j'ai deux questions à
son propos. D'abord, quelles sont les « cultures » en question ? Je ne les
discerne pas. Il existe en effet des particularismes culturels. Est-ce que cela
en fait des cultures au sens social et anthropologique du terme ? Non. J'en suis
désolé, une religion ne fait pas à elle seule une culture. Et dans le cas de
l'interprétation des problèmes des banlieues à travers le prisme du
multiculturalisme, je crois qu'on s'égare complètement. Le problème de ces
jeunes, ce n'est pas qu'ils relèveraient d'une culture différente de la nôtre
qui ne serait pas reconnue, c'est qu'ils ne savent pas de quelle culture ils
sont. Ils ont perdu leur culture d'origine, celle de leurs parents, auxquels ils
ne veulent pas ressembler mais ils n'ont pas acquis d'autre part les clés de la
culture d'accueil où ils ont à vivre.
Deuxième question : que veut véritablement dire « multiculturalisme » ?
L'expression est susceptible de deux acceptions totalement différentes. Ou bien
elle désigne le noble projet de ne pas rester enfermé dans sa propre culture et
d'acquérir la connaissance de la diversité des cultures et civilisations. Le
multiculturalisme rejoint alors le vieil idéal humaniste. Ou bien «
multiculturalisme » désigne la coexistence de particularismes qui s'ignorent les
uns les autres et à propos desquels la seule règle qu'on soit en droit d'exiger
est qu'ils ne s'affrontent pas directement. A ce moment-là, je ne peux pas y
voir autre chose qu'une régression vers l'inculture et la barbarie.
R. Debray. - Si on enquête un peu, la jacquerie des banlieues
n'est pas de l'ethno-religieux. Les imams n'en pouvaient mais. Clichy-sous-Bois
vu d'Israël ou de Palestine, en noir et blanc, c'est un fantasme d'intello. On a
des exclus du système capitaliste qui demandent à intégrer le système, sans le
remettre en question et qui se jugent lésés - légitimement d'ailleurs - de ne
pouvoir le faire. On a vu des gars brûler des voitures en filmant, pour pouvoir
revendre la cassette à la télévision. Ils savent que, pour exister, il faut
passer à la télé. Mais si les communautés ne sont pas encore des projets
politiques avec volonté de développement séparé, il est vrai, en dehors de la
petite ou grande délinquance, que les solidarités ethniques se structurent de
mieux en mieux et s'inscrivent même dans l'espace en banlieue et à Paris. Voyez
le développement des écoles confessionnelles et celui des radios, des journaux
et bientôt des télévisions communautaires. Chacun s'aventure de moins en moins
en dehors de son milieu, son cocon protecteur. Les intellos aussi chassent en
meute. Sale période pour les fraternités, même dînatoires. Pour les institutions
de rattachement volontaire, comme étaient les partis, les syndicats, les
compagnonnages, les métiers, les ateliers. C'est la glue qui revient. Une
société alvéolaire, encoquillée, à confort intellectuel maximal et coexistence
physique minimale. Ce serait le moment de relancer une campagne de banquets
républicains, et de mettre autour d'une même table des Noirs, des gaulois, des
juifs, des musulmans, des Corses, des jeunes et des vieux, des hommes et des
femmes, au service d'une idée. Je proposerais volontiers de fonder la communauté
des sans-communauté ou la « confédération des gens ne pouvant parler qu'en leur
nom propre ». Où l'on mettrait un instant entre parenthèses son sexe, sa
généalogie et sa couleur de peau. Pas pour les nier, mais pour les dépasser.
M. Gauchet. - Je suis d'accord pour constater que nous baignons
dans une idéologie communautaire. Mais quel est le ciment de ces communautés
invoquées à tout propos ? Le victimisme. Des communautés de victimes ne peuvent
pas constituer de vraies communautés. Ne serait-ce que parce que, à l'intérieur
de cette communauté, chacun se sent plus victime que son voisin.
Régis Debray
,philosophe et médiologue, auteur de nombreux romans et essais, dirige la revue
« Médium » (medium@editions-babylone.com). Il vient de publier le « Dictionnaire
culturel du tissu » (avec Patrice Hugues), « les Communions humaines » (Fayard),
une pièce de théâtre, « Julien le Fidèle » (Gallimard) et « Sur le pont
d'Avignon »
Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études à l’EHESS, est
rédacteur en chef de la revue « le Débat ». Auteur de nombreux essais dont « le
Désenchantement du monde » et « la Condition historique » réédités ce mois-ci en
Folio-Essais, il vient de publier « la Condition politique » (Tel/Gallimard).
Source: Les débats de l'Obs ,
Semaine du
jeudi 15 décembre 2005 - n°2145 - Réflexions,
http://www.nouvelobs.com/articles/p2145/a290207.html