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Le
Président
de la République.
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Présidence de la République
Petites
histoires de la photo présidentielle
Le nouveau
président de la République a demandé à Philippe Warrin, photographe
réputé de la presse people, d'immortaliser son élection à l'Élysée.
L'occasion de rappeler les coulisses de la photo officielle - depuis le
général de Gaulle.
Il s'agit d'un rite. Républicain.
Nicolas Sarkozy s'y est prêté lundi dernier. De bonne grâce. Sans faire de
chichi. Sans s'impatienter non plus. En professionnel. Après, il a dit
merci au photographe, à son assistant et à la maquilleuse qui les
accompagnaient. Comme le général de Gaulle et François Mitterrand, le
vingt-troisième président de la République a choisi de poser pour son
portrait officiel devant la bibliothèque du Palais de l'Élysée. Parce que
c'est la pièce qu'il préfère. Habituellement, la séance est entourée d'un
protocole plus ou moins contraignant. Les conseillers sont légions. Chacun
donne son avis et plusieurs mouches du coche, au dernier moment,
voudraient tout chambouler. À cause d'une ombre ou d'une lumière. Surtout
pour se donner de l'importance.
Nicolas Sarkozy n'est pas homme à supporter ces pesanteurs, ces lenteurs,
tous les bla-bla. « Le président, dit Philippe Warrin, qui a réalisé le
cliché, n'aime pas que trop de monde tourne autour de lui à ne rien faire.
Cécilia est juste passée avant le début de la séance pour dire bonjour,
puis elle est retournée dans son bureau. Une conseillère est restée. Mais,
au moment du shoot, j'étais seul avec mon assistant et la maquilleuse face
à Nicolas. »
Sur la photo qui ornera - le don est gratuit pour les municipalités - les
36 664 communes de France, sans compter les commissariats, les écoles, les
préfectures et les ambassades, le président arbore un costume gris
anthracite, une chemise bleu ciel à rayures et une cravate sombre. «
Nicolas, précise Philippe Warrin, voulait du classique. Il a posé debout.
On voit derrière lui le drapeau français ainsi que celui de l'Union
européenne. J'avais suggéré cette innovation. Le président l'a adoptée.
Après les préparatifs d'usage, la séance proprement dite n'aura duré que
vingt minutes. »
Pour immortaliser son image, Charles de Gaulle avait choisi, en 1958, Jean
Marie Marcel qui, en 1945, avait déjà réalisé un portrait de lui, menton
haut et cigarette au coin des lèvres. Jean Marie Marcel, en ce temps-là,
avait déjà fermé son studio de la place Vendôme, mais il a repris ses
objectifs sans barguigner. Le photographe prendra deux clichés du général,
le premier en uniforme, le second en civil avec l'Ordre de la Libération
autour du cou. C'est celui que Charles de Gaulle choisira. Une photo
académique.
Celle de Georges Pompidou le sera également. Mais il est le dernier
président à poser en habit de cérémonie. Après lui, Valéry Giscard
d'Estaing bouscule la tradition. Il veut « rénover » l'image républicaine,
la rajeunir, la dépoussiérer. VGE fait appel à Jacques-Henri Lartigue qui
n'est pas à proprement parler un portraitiste.
Le photographe, une célébrité mondiale, cherche à saisir l'instant, le
mouvement, l'éphémère. Dans son journal, Jacques-Henri Lartigue raconte
que le vingtième président de la République voulait une « photo gaie ».
Elle sera effectivement plus vivante que tous les clichés représentant ses
prédécesseurs. Prise sur le perron de l'Élysée, la photo est très
légèrement « bougée » parce que le vent joue avec le drapé du drapeau
français. Quant à VGE, il esquisse une ébauche de sourire. C'est une
première. Le fait que Jacques-Henri Lartigue ait été rémunéré, également.
Philippe Warrin n'a pas parlé d'honoraire avec Nicolas Sarkozy. Les
conseillers du président lui ont dit qu'il aurait des droits d'image (le
portrait officiel du président est disponible à la Documentation française
pour la modique somme d'un euro), mais le photographe ne s'en soucie
guère.
Photographe de l'agence Sipa, Philippe, même s'il fait la grimace
lorsqu'on le lui dit, est surtout un spécialiste des « people ». Déjà, les
docteurs es médias glosent sur le choix de Nicolas Sarkozy. Pour les uns,
il s'agit d'une illustration de la « rupture » prônée par le président.
Pour d'autres, c'est le triomphe du « côté glamour ». Et de maugréer : la
France n'est pas l'Amérique. Il serait dangereux pour le président de
jouer les Kennedy. Trop de paillettes... Les plus chagrins ironisent aussi
sur les photos prises par Philippe Warrin au château de la « Star Ac' », à
Dammarie-les-Lys. Lui, il hausse les épaules. Son téléphone n'arrête plus
de sonner. On l'interroge, on le presse, on le flatte. Ou bien on
l'agresse : « Vous avez votre carte de l'UMP ? »
Pourquoi ce photographe ? Philippe Warrin ne cherche ni à se hausser du
col, ni à feindre l'humilité. Avant de suivre Nicolas Sarkozy - c'est lui
qui, au soir du deuxième tour, prendra les photos de la soirée au QG de
campagne et au Fouquet's -, il a bien « fait un peu de DSK » (Dominique
Strauss-Kahn), mais n'était pas branché sur la « politique ». Il ne l'est
toujours pas. Son histoire avec le président commence, il y a trois ans,
lorsque Cécilia Sarkozy le choisit comme photographe pour illustrer le
reportage qu'un magazine prépare sur elle.
Plus tard, c'est encore elle qui lui propose de les accompagner lorsque le
couple se rend aux États-Unis, puis au Maroc. Mais c'est Nicolas Sarkozy
lui-même, au soir du deuxième tour de l'élection présidentielle, qui
proposera à Philippe Warrin de faire son portrait officiel.
François Mitterrand avait désigné pour cet exercice obligé une vieille
dame de 87 ans, Gisèle Freund, qui avait réalisé des clichés de presque
tous les écrivains de son temps : Virginia Woolf, James Joyce, Colette,
Malraux, Sartre et Simone de Beauvoir, Samuel Beckett également.
Assis devant la bibliothèque, François Mitterrand tient un livre entre ses
mains : les Essais de Montaigne. Rien dans cette sobre mise en scène n'est
laissé au hasard. Tout, depuis la photographe, née en Allemagne en 1908,
exilée en France pour fuir le nazisme, puis en Amérique du Sud pendant la
guerre, jusqu'à l'ouvrage que le président a sorti de la bibliothèque,
campe le personnage que François Mitterrand souhaite représenter : un
lettré, un humaniste. Gisèle Freund restera insatisfaite de son portrait.
Trop guindé de son propre aveu.
En 1995, Jacques Chirac fera appel à Bettina Rheims. La photographe passe
pour sulfureuse avec ses « nus ». Son image est « sexy ». Donc, en
principe, moderne. Le président se veut de son temps. Donc « proche des
gens ». On ne les appelle pas encore des « vrais gens » mais l'expression,
comme bien d'autres niaiseries, va bientôt faire florès.
De même que Gisèle Freund, Bettina Rheims n'est pas époustouflée par «
l'honneur » qui lui est fait. Elle parlera d'un « cahier des charges
impossible ». Elle dira surtout qu'elle ne retrouve pas son propre style
dans le portrait, finalement très solennel, qu'elle a réalisé. Philippe
Warrin, lui, ne cache pas son bonheur.
Tout d'abord, parce qu'il trouve sa photographie réussie « avec un je ne
sais quoi dans le regard ». Ensuite, parce que dans chaque mairie
désormais, il pourra se dire « ça, c'est de moi » et se réjouit d'avance
de le raconter, un soir, avec ou sans chandelle, à ses petits-enfants.
Enfin, parce que le fait de devenir, du jour au lendemain, célèbre à 44
ans ne le rend pas maussade. Bouder son plaisir ? Ce n'est pas son genre.
Ce n'est pas non plus celui de Nicolas Sarkozy. Sur sa photo officielle,
on voit bien qu'il est fier, heureux d'être président. Absolument
déterminé à ne pas s'en cacher.
Hier en fin d'après-midi, Philippe Warrin est retourné à l'Élysée avec les
épreuves de ses photos. Pour les soumettre au président. Afin qu'il
choisisse, lui-même, le portrait qui sera dans toutes les mairies. Les
écoles, les commissariats, les préfectures et les ambassades.
Image d'un homme ou d'une fonction ? Depuis Napoléon III, dont le portrait
fut dessiné, jusqu'à Jacques Chirac, exception faite pour Valéry Giscard
d'Estaing, le rite républicain sacrifiait l'homme à la fonction. Et si
Nicolas avait l'ambition, le toupet de vouloir rester lui-même tout en
assumant le rôle qui est devenu le sien ? La photo officielle du chef de
l'État témoigne de cette volonté. De cet entêtement. À gouverner. Et
vivre.
Article Figaro le 23 mai 2007