TIBET - CHINE
Dans un contexte international des
jeux olympiques, les révoltes à Lhassa et la répression de pékin : quelques
documents tirés de la presse pour comprendre les enjeux.
Entre la Chine et le Tibet,
une longue histoire de préjugés et de domination
Depuis plus de deux mille ans, la Chine et
le Tibet n'ont jamais pu cohabiter harmonieusement. En règle générale,
lorsque le pouvoir central chinois était fort à Xi'an ou à Pékin, le
Tibet subissait la domination chinoise. À l'inverse, la Chine,
affaiblie, a dû parfois endurer la suzeraineté tibétaine.
Aujourd'hui, les cinq millions et demi de Tibétains, éparpillés sur le
1,2 million de km2 de l'immense plateau tibétain, sont colonisés. Pour
les Hans (les Chinois), la culture chinoise est supérieure à toutes
les autres, ces dernières ne méritant pas le respect, tout au plus la
sympathie de l'éducateur. Les jeunes Tibétains, dans les écoles, n'ont
aujourd'hui le droit d'apprendre que le chi-nois.
Les préjugés chinois à l'endroit des Tibétains remontent au début de
la Route de la soie, à l'orée du premier millénaire, lorsque les
Tibétains dévalaient de leurs montagnes pour piller les caravanes.
Particulièrement sanguinaires (ils ne remontaient jamais chez eux sans
emporter en souvenir les têtes coupées des marchands), ces Tibétains
furent des siècles durant aux Chinois ce que les Mongols ou les Huns
représentèrent plus tard pour les Occidentaux : des demi-hommes, des
sauvages malfaisants, des bêtes sanguinaires.
L'origine des populations tibétaines demeure confuse, mais remonte
certainement au néolithique, lorsque des tribus nomades commencèrent à
sillonner ces hauts plateaux. Plus tard, sur ces terres
inhospitalières, chefferies et fédérations de tribus
s'entr'égorgèrent, jusqu'à la pénétration du bouddhisme au
VIIe siècle. Ce début de civilisation amena le roi Namri Songtsen à
envoyer deux missions en Chine, en 608 et 609. Ses descendants directs
établirent les frontières du Tibet, telles que les trouvèrent les
communistes chinois en 1950.
Lhassa, la capitale du pays, fut fondée à cette ancienne époque, et en
751, alliés aux Ouïgours et aux Abbassides, les Tibétains infligèrent
une défaite cuisante aux Chinois (50 000 de leurs guerriers furent
tués, 20 000 autres faits prisonniers) lors de la bataille de Talas.
En 763, les Tibétains envahirent Xi'an, la capitale chinoise.
À défaut de pacifier le Tibet,
le bouddhisme le pénètre en absorbant toutes les traditions locales.
La théocratie remplace les chefferies, les lignées religieuses étant
soutenues par des clans (cela s'observe encore dans les monastères, où
l'égalité entre moines est une utopie).
À Lhassa, les factions aux bonnets de toutes les couleurs prennent
l'habitude d'aller s'appuyer sur des puissances extérieures pour
s'imposer. Les Mongols, à partir du XIIe siècle, considèrent le pays
des Neiges comme le leur, et y règnent par procuration. Ils seront
remplacés par les Mandchous qui prendront Pékin (la dynastie Qing),
alors que les dalaï-lamas deviendront les chefs du pays à partir du
XVIIe siècle seulement. L'empereur Qianlong, en 1791, respecte
l'autorité morale du dalaï-lama, il se contente de protéger le Tibet.
L'affaiblissement de la Chine rend ensuite le «protectorat» chinois
virtuel : le Tibet se déclare indépendant en 1913.
Mao Zedong fait envahir le «Toit du monde» en octobre 1950, quatre
mois après que les troupes de la Corée du Nord eurent attaqué le Sud.
À Lhassa, personne n'avait rien vu venir, tant le pays vivait dans une
douce autarcie… Le Tibet «libéré» est soudain «partie intégrante de la
Chine». Le territoire du plateau est morcelé entre diverses provinces
chinoises, la «province autonome du Tibet» et sa capitale Lhassa
n'occupant qu'un tiers de ce territoire. Entre 1966 et 1976, la
Révolution culturelle amènera au pillage et à la destruction des
monas-tères, dont les «bouddhas vivants» sont envoyés dans des fermes
pour soigner les cochons. Dans les années 1990, les Chinois
construisent un musée à Lhassa : le Tibet, y explique-t-on, a toujours
été chinois.
Les Tibétains n'ont pas davantage souffert du communisme que les
autres Chinois croyants. Mais pour eux, 98 % de la vie quotidienne est
régie par les lois du Ciel, et le communisme les a donc
particulièrement éprouvés. Dès 1959, ils se révoltent à Lhassa. Des
statistiques officielles indiquent que la répression chinoise a fait…
80 000 morts !
Trente ans plus tard, en 1989, l'insurrection reprendra. Le gouverneur
du Tibet qui l'a matée s'appelait Hu Jintao. Il est devenu le numéro
un chinois. Depuis une décennie, Pékin investit des dizaines de
milliards de dollars au Tibet, dans l'espoir de transformer les
habitants en capitalistes qui oublieront leurs revendications
nationales. Sans succès, à l'évidence
Cinq décennies de conflit
1er octobre 1949
Mao Zedong proclame la
fondation de la République populaire de Chine.
1950
Invasion du Tibet.
1956
Premières révoltes de Tibétains.
1959 Les
troupes chinoises répriment une rébellion au Tibet, le chef spirituel
des Tibétains, le dalaï-lama, s'exile en Inde.
1962 Guerre sino-indienne.
1966 - 1976
Révolution culturelle : tous les
monastères sont rasés.
1989 et
2008 Émeutes à Lhassa, des
manifestants sont tués.
Source Le Figaro
Répression chinoise au Tibet
Le Tibet, occupé par la Chine depuis octobre 1950,
a connu de nombreux soulèvements,. Les manifestations, bien que
violemment réprimées par l'armée d'occupation, n'ont jamais vraiment
cessé. En mars 1959, cette répression fait des milliers de morts et
provoque la fuite du dalaï-lama à Dharamsala, en Inde, où il établit
un gouvernement en exil.
Aujourd'hui, à quelques mois de l'ouverture des Jeux olympiques de
Pékin, des manifestations marquant le 49e anniversaire du soulèvement
de 1949 ont dégénéré en émeutes à Lhassa et gagnent les communautés
tibétaines installées dans les provinces voisines. Face à la
répression chinoise, la question du boycott des Jeux olympiques se
pose au monde entier.
Dessin de Hachfeld paru dans Neues Deutschland
Le Tibet : quels enjeux pour
la Chine ?
Le Tibet : un
enjeu stratégique
Sur son flanc sud, le Tibet chinois partage près de 3 000 km de
frontières avec la Birmanie, l'Inde, le Bhoutan, le Népal et le
Pakistan. Parmi ces cinq Etats, l'Inde est celui avec lequel la Chine
cultive la relation la plus délicate. Contrôler le Tibet, c'est
s'offrir un glacis stratégique tenant l'Inde en respect. Au coeur de
la tension sino-indienne figure le tracé de la frontière hérité de
l'ère coloniale britannique : New Delhi l'a entériné, mais Pékin le
récuse. Une guerre a déjà opposé, en 1962, les deux pays. Pékin
l'avait gagnée et avait imposé sa mainmise sur le territoire disputé
de l'Aksai Chin, à l'extrême-ouest de la frontière.
Outre ce contentieux territorial, un autre litige joue un rôle
d'irritant : l'Etat indien d'Arunachal Pradesh (extrême est) que Pékin
revendique. Un troisième foyer de tension s'est, lui, quelque peu
assoupi : le Sikkim, annexé en 1975 par New Delhi et sur lequel Pékin
ferme désormais les yeux. Cette question frontalière n'est pas soldée,
mais elle a perdu en acuité. Elle se double aujourd'hui d'enjeux
stratégiques plus globaux liés à la projection régionale de la Chine.
Le Tibet est à la charnière de l'Asie du Sud et de l'Asie centrale,
deux régions où les intérêts de Pékin sont pressants. En Asie du Sud,
il lui faut prévenir l'idylle entre l'Inde et les Etats-Unis tout en
soignant le Pakistan, fidèle allié qui ouvre sur l'océan Indien. Et en
Asie centrale, il faut assurer les routes énergétiques acheminant le
pétrole et le gaz naturel en provenance - notamment - de la mer
Caspienne. Le Tibet est une pièce maîtresse de cette construction
géopolitique régionale.
Le Tibet :
réservoir de ressources naturelles
Le Tibet (Xizang) veut dire en mandarin "Maison des trésors de
l'Ouest". On comprend pourquoi. Il recèle la deuxième biomasse
forestière de Chine mais la ressource s'épuise, le déboisement ayant
pris des proportions catastrophiques.
Un autre potentiel fait rêver à Pékin et à Lhassa : les ressources
minérales. Les gisements de chrome et de cuivre de la Région autonome
du Tibet sont les premiers de Chine. Et ses réserves de borax,
d'uranium et de lithium (50 %) sont les plus riches au monde. La
presse chinoise évoque rituellement avec emphase des découvertes de
fer, d'or, d'argent, de plomb, de zinc, de cobalt... En 2004, un
article du Quotidien du peuple allait jusqu'à évaluer à 78,4
milliards de dollars le potentiel du Tibet en ressources minérales.
L'exploitation a démarré, mais dans des conditions laborieuses.
Une troisième ressource offre davantage de disponibilité : l'eau. Le
Tibet historique est le "château d'eau de l'Asie". Dix des plus grands
fleuves de la région y prennent leur source : Yangzi (fleuve Bleu),
Huang He (fleuve Jaune), Mékong, Indus, Brahmapoutre, Salouen,
Irrawaddy, Sutlej et deux affluents du Gange. Le Tibet recèle, selon
la presse chinoise, 30 % des ressources hydrauliques de la Chine. Une
aubaine alors que la crise de l'eau menace le nord du pays.
Le
Tibet : symbole de la cohésion de l’empire
La Chine se pense comme un Etat multinational. Officiellement, 56
"nationalités" (minzu) sont recensées. Avec 92 % de la
population, les Han sont ultramajoritaires. Mais les 8 % de minorités
occupent une place de choix dans l'imaginaire national, fût-ce sous
les couleurs d'un folklore guimauve.
Surtout, l'espace
qu'elles occupent est gigantesque. A lui seul, le Tibet historique
s'étend sur un quart du territoire chinois. Aussi Pékin est-il obsédé
par le risque d'une contagion séparatiste qui, en embrasant d'autres
ethnies - notamment les Ouïgour du Xinjiang musulman frontalier de
l'Asie centrale -, désagrégerait l'empire. Le nationalisme de la
population chinoise ne le permettrait pas.
Source : Frédéric Bobin, le Monde, 26 mars 2008
Le Tibet, un enjeu stratégique
Pourquoi la Chine est-elle prête a nuire
aussi considérablement à son image, pour conserver le Tibet sous sa
coupe ? Quels sont les intérêts en jeu ? Quelques spécialistes en
géopolitique ont tenté d’apporter certaines réponses en se confiant
aux journalistes de l’AFP.
De l’avis unanime de tous ces spécialistes, la Chine n’est pas
disposée à lâcher le Tibet de sitôt. Le « toit du monde » représente
en effet une position stratégique qui permet à l’empire du milieu de
dominer l’Asie.
"Le Tibet est très important pour la Chine à la fois stratégiquement
et militairement", explique Andrew Fischer, un économiste spécialiste
du Tibet, à l'Institut des études sur le développement de Londres. "Ce
rôle s'explique en termes de sécurité nationale, il est important pour
les Chinois de rester tout en haut des montagnes, plutôt que d'avoir
une arrière-cour qu'ils ne contrôleraient pas", ajoute-t-il.
Anne-Marie Blondeau, chercheur au Centre de documentation sur l'aire
tibétaine de Paris, abonde dans ce sens : "Le Tibet, qui a toujours
servi de tampon -- autrefois entre les Britanniques, la Russie et la
Chine--, leur sert maintenant de plateforme d'où ils dominent toute
l'Asie".
L'analyste politique Joseph Cheng, basé à Hong Kong, rajoute un
élément à charge dans le dossier : "Avec un Tibet indépendant, la
Chine serait très menacée par l'Inde et les pays occidentaux". Le
premier ministre chinois, lui même, a reconnu que le Tibet était une
question "sensible" entre la Chine et l’Inde.
D’autres arguments sont également avancés. Les ressources naturelles
sont alors évoquées. Le Tibet est, par exemple, la source de nombreux
fleuves de Chine et d’Asie du sud. "Il y a des ressources en eau
considérables.", constate Mme Blondeau.
L’idéologie, bien entendu, n’échappe pas à l’analyse. "La Chine en a
fait une question de principe, il leur est intolérable que des
gouvernements étrangers puissent s'ingérer dans ses affaires
intérieures", juge-t-elle. Le discours chinois sur le Tibet,
revendiquant le territoire comme une partie de la Chine "depuis les
temps anciens", est né au XIXe siècle sous la dynastie Qing
(1644-1911).
"C'est réellement à partir des Mandchous qu'il y a eu une prise de
conscience politique de l'importance du Tibet en Chine", dit Mme
Blondeau. Andrew Fischer, de son côté, explique : "Il était important
à la fois pour les nationalistes et les communistes de maintenir les
frontières de l'empire mandchou. C'est pour cela qu'ils ont développé
cette rhétorique nationaliste, selon laquelle la Chine est composée de
cinq nations: les Ouïgours, les Tibétains, les Mongols, les Mandchous
et les Han".
"Les émeutes et les manifestations sont sûrement un embarras pour
Pékin, mais cela ne va pas faire vaciller le contrôle du Tibet par
Pékin", conclut Joseph Cheng.
Source:
AFP/Aujourd'hui la Chine
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